J’aurais dû m’en douter, cela lui disait rien du tout. Des loups garous fous, j’avais lu quelques histoires à ce sujet pendant mes recherches. Mais rien ne ressemblait à ce que je recherchais.

« Désolé, c’était stupide de ma part, j’aurais jamais dû te raconter tout ça. C’est pas tes affaires. »

Il regarda le plat sans y toucher, dans mon cas je ne me fis pas prier pour manger.

« Le Nord ? » Demandais-je entre deux bouchés, avant qu’il ne réponde.

Elle ne devrait pas exister ? Personne ne devrait être en mesure de pouvoir la manier ? S’y quelqu’un venait à s’y essayer ?

« C’est drôle, à t’entendre la magie est un choix. Mais moi je n’ai pas choisi d’être comme ça. La Brume est là depuis ma naissance. Je me redressais à mon tour. J’ai rien fait pour me lier à Umbra ou je ne sais quelle calamité. Je n’ai pas tatoué de glyphe magique sur mon corps ou renoncer à une vie de famille heureuse, parce que j’ai jamais eu l’opportunité d’en avoir une. Peut-être même que j’en aurais jamais. Alors tes sermons sur ce qui doit être ou ne pas être, tu peux te les garder. Je ne crois pas aux présages. »

Je finis de manger en silence, le regardant du coin de l’œil se lever pour faire les cent pas près de la porte d’entrée. Au bout de quelques minutes de calme plat, je soupirais bruyamment, mon assiette enfin vide. M’étirant, confortablement installé sur mon coussin de sol, je décidais de briser le silence.

« Bon ! Messire O’lendÿl, je vous accompagnerez dans le nord ! Tu auras besoin d’un guide si tu veux survivre en dehors de ma maison. Mais en échange, laisse-moi lire tes notes avant de les brûler. C’est tout ce que je te demanderais. »

Ça me semblait être un marché équitable. Je n’avais jamais été aussi près de faire une découverte intéressante, et cet elfe en fuite pourrait très bien être une pièce maîtresse du puzzle. Mes yeux vairons étaient perçants, et bien décidé à ne rien lâcher.

Les mots de la jeune femme raisonnaient dans son esprit, ils avaient plus de conséquences que ce qu'elle pouvait imaginer. Telles de petites lames aiguisées remuant dans des plaies invisibles, les mots se frayèrent un chemin jusqu'au profond de son être, piquant de leur pointe les endroits les plus sensibles.
Oui.
Oui, il avait renoncé à vivre une vie normale, il avait sacrifié sa vie, sa santé, sa famille, dans l'espoir fou de sauver un peuple d'imbéciles, son peuple, incapable de prévoir leur avenir ! Et pour quoi ? Pour se retrouver là assis sur un coussin, traiter comme un elfe pompeux tout juste bon à ressasser des paroles en l'air, des « sermons » de comptoir que l'on dispensait à la jeunesse. Pour lui ce n'était pas une question de choix ou non, c'était une question de responsabilité, savoir quoi faire au bon moment et pourquoi, tout le reste n'avait aucune importance.

- Je ne sous-entendais pas qu'il s'agi… Oublions ça.

Elle ne comprenait pas, comment le pouvait-elle ? Comment pouvait-elle comprendre en quelques minutes ce qu'il avait mis des dizaines d'années, ne serait-ce qu'à concevoir ? C'était impossible, voilà tout.
Le paria était simplement stupide, pourquoi se « confier » ou essayer de s'expliquer, au final il n'obtiendrait rien de positif, mieux valait qu'il mène sa quête  sans impliquer quoique ce soit. Son sang bouillonnait, finalement mieux valait garder ses secrets pour lui et en finir le plus rapidement possible avec cette histoire, c'était bien plus pragmatique que de s'ouvrir à autrui en espérant les sensibiliser sur un mal qu'ils fussent tout bonnement incapables de concevoir. Une fois encore, il ne pouvait compter que sur lui-même pour voir la vérité en face, un constat affligeant, un constat qui lui mina définitivement le moral, le forçant à s'isoler dans le mutisme.

Lorsqu'elle proposa de l'accompagner, l'elfe s'arrêta net, un « non » catégorique se forma dans son esprit, mais… mais il y avait peut-être quelque chose à y gagner, du temps. Le temps était bien la seule et unique chose avec encore un peu de valeur dans son monde. La confiance, l'amour… tout cela ne valait strictement rien dans un monde en ruine, dans un monde dévoré par les ombres… Il ne laisserait jamais une telle chose se produire, il avait un objectif à accomplir et personne ne pourrait l'en empêcher. Comprenant bien la réalité du monde dans lequel il allait devoir évoluer, son ton se fit plus froid et distant qu'auparavant.  

- Si le moment venu tu penses y trouver des réponses, alors tu feras ce que tu jugeras juste.

Il pouvait bien accepter, rien ne pouvait l'obliger à tenir sa parole par la suite. L'elfe n'était pas suffisamment idiot pour dire que la belle demoiselle ne trouverait rien dans ses notes. Des réponses, elle en trouverait, serait-ce celle qu'elle voulait ? Certainement pas.

L’atmosphère c’était refroidit malgré le feu brûlant dans la cheminée. Je pouvais sentir le changement d’état de l’elfe qui se fit plus distant. Il mit un moment à me répondre. Peut-être y étais-je allé un peu fort ?

« Je suis désolée… Je n’avais pas le droit de dire tout ça… Je suis bien placée pour savoir que tout ce que tu as fait été par nécessité et… Je me tus, par crainte de m’enfoncer davantage dans ma bourde. Bref laissons le passé derrière nous. On a un voyage à préparer ! »

Notre accord conclu, j’étais enthousiaste à l’idée de partir en voyage. Pourtant je savais devoir repartir dans le sud prochainement, mais mon séjour ne serait pas très long et la saison n’était pas propice dans les montagnes pour une expédition de toutes façons.

« Ça va pas te plaire, mais tu vas devoir rester caché ici un moment, enfin tu peux sortir si tu veux, ma maison reste à ta disposition… Tout ça pour dire qu’on ne va pas pouvoir partir tout de suite : je dois me rendre à Stellaraë… Pour affaire… De famille… Je partirai demain matin. Bégayais-je un peu honteuse. Cela faisait plusieurs mois que je n’étais pas rentrée au cirque et je ne souhaitais pas retarder plus que ça mon retour. Et puis la neige est traîtresse à cette époque de l’année, il y a beaucoup d’avalanches, c’est dangereux. »

Je m’étais levée pour me rendre à mon bureau, je fouillais dans les tas de parchemins enroulés rangés dans un casier avant de pousser un petit cri de victoire en sortant l’un d’eux. Débarrassant la table basse du salon à la va-vite. C'est-à-dire en jetant presque la vaisselle dans un bac en pierre du coin cuisine de la maisonnette. Je déroulais ensuite la carte affichant toute la partie nord du continent. Les noms des montagnes y étaient inscrits, on pouvait voir entre autres, Kastalinn, les plaines de Kaanan, Baldhoreim et la forêt de sapins. Tout y était.

« Bien, montre-moi où on doit aller exactement. »