Le Nord. Voilà une zone qu'elle n'avait pas assez explorée. Pourtant, comme chaque région, elle devait comporter son propre lot d'animaux tous plus intéressants les uns que les autres... Ni une ni deux, elle avait fait ses bagages : des vêtements chauds, ses affaires de marche spéciales explorations, beaucoup d'eau, assez de monnaie pour vivre confortablement tout le temps que pourrait durer son voyage. Puis, une fois de plus, elle se glissa hors du manoir en pleine nuit, invisible à ses parents qui dormaient de toutes façons comme des souches.

Comme d'habitude, lors de son trajet, elle ne parla que le moins possible, évitant toujours de révéler son nom. Il était indispensable que ses parents ne sachent pas où elle se trouvait. Evidemment, elle n'utilisait pas les transports en commun. Tout le monde les utilisait, c'était la porte ouverte aux problèmes à la moindre erreur... Et, elle se connaissait, elle était humaine, les erreurs, elle en ferait, c'était certain. Alors, autant éviter à quiconque de remonter jusqu'à ses parents en ne rencontrant simplement personne.

Le trajet se passa sans encombre notable. Enfin, jusqu'à cette pause, une fois presque arrivée à destination. Elle avait suivi les indications des locaux pour trouver une chambre pour la nuit. Néanmoins, le nom seul de l'endroit était suspect. Le logis du chasseur... Très bien. Il y aurait ici certainement un bon nombre de meurtriers à faire tomber. Mais avant... Profil bas, elle devait en apprendre le plus possible sur eux. Elle n'en avait aucune envie, mais si elle voulait se débarrasser d'un bon nombre d'eux sans se faire prendre, elle n'avait pas le choix. Elle allait devoir se faire passer pour l'un d'eux. Et pour cela... La voilà qui écoutait un vantard qui racontait ses exploits contre un ours local.

Enfin ! Il avait réussi ! Elle avait enfin accepté de sortir de sa forêt pour partir à l'aventure avec lui ! Evidemment, il avait dû se battre, et accepter d'emmener le gamin. Certes, il pouvait comprendre : ils ne savaient pas combien de temps durerait le trajet, et Lariela ne pouvait pas se résoudre à l'abandonner une nouvelle fois. Ludwig lui-même avait fini par s'y attacher en aidant à prendre soin de lui. Mais certainement pas autant que sa patronne... Non, sa complice. C'était vrai, il ne devait plus la considérer comme sa patronne. Ils devaient être alliés, amis... Pas de relation professionnelle. Mais c'était compliqué pour lui...

Quoi qu'il en soit, ils en étaient là à présent. Les trois sur les routes, sans trop savoir où aller... En fait, ils suivaient Ludwig. Après tout, c'était lui, l'aventurier du groupe. Et Elaran découvrait le monde, bouche bée. Rien que pour cela, Lariela devait bien admettre qu'elle devrait remercier son nouvel ami. C'était probablement ça qu'il lui manquait. ça dont elle avait été incapable. Mettre de vraies étoiles dans les yeux de son protégé... Il lui fallait donc simplement de nouvelles découvertes... Mais seule, elle n'aurait jamais été capable de le protéger correctement, elle le savait. À deux, ils avaient déjà plus de chances.

Néanmoins, ce qu'elle n'avait pas tardé à découvrir dans cette région, c'était le froid. Elle ne pensait pas qu'il pouvait se trouver au monde de telles régions, au climat si... Invivable ! Et il y avait des locaux ? Comment faisaient-ils ? Naissaient-ils avec de la fourrure ? Ou dépensaient-ils des fortunes en vêtements chauds ? Fortune qu'elle n'avait pas... La majeure partie de ses économies passait dans le salaire de Ludwig et les ingrédients et ustensiles de cuisine. Il ne lui restait pas grand-chose pour elle... Mais jusqu'à présent, elle ne s'en était pas souciée. Après tout, la forêt lui offrait tout ce qu'elle ne pouvait pas produire elle-même.
Mais à présent, ils n'avaient pas de forêt... Autant Elaran était aux anges, autant Lariela était malheureuse. Mais ça, les deu hommes qui l'accompagnaient ne semblaient pas le réaliser... Alors, elle se consolait en les utilisant comme sujets de tests de nouvelles recettes avec les quelques denrées qu'elle pouvait trouver ici. Et autant dire que ce rôle leur convenait parfaitement ! Voilà au moins une chose positive dans cette immensité de désolation.

Ce fut Elaran qui eut l'idée. Un jour, il prit Ludwig à part.

- Dis... Et si on lui faisait une surprise ? Tu te souviens des gens qu'on a croisés hier ? Ils ont parlé d'une sorte d'auberge... Tu crois que...

Le thérianthrope lui ébourriffa les cheveux

- Rappelle-moi de venir te voir quand je chercherai de bonnes idées ! On part demain, on devrait pouvoir arriver dans la soirée... À toi de lui annoncer !

Avec un clin d'oeil complice, il alla aider Lariela à terminer de monter le camp.

Comme prévu, le lendemain, les voici qui arrivaient aussi au fameux lois du chasseur. Lariela faillit faire demi-tour. Trop de monde... Mais Ludwig ne l'entendait pas de cette oreille et alla négocier auprès du gérant la possibilité d'enseigner son plat phare à Lariela. Lui-même n'aimait pas trop cette manie qu'elle avait, mais il était sûr de lui faire plaisir s'il réussissait, donc ça valait le coup d'essayer. Pendant ce temps, les deux elfes furent chargés de leur trouver une table.

Ce qui ne s'avéra pas chose aisée. La dernière table disponible semblait déjà prise d'assaut. Que devait-elle faire ? Il était évident que les deux places restantes revenaient aux deux derniers arrivés. Alors... Tant pis, il n'y aurait qu'à attendre qu'une autre table se libère.

Il est vrai que la route a son charme mais elle en a beaucoup moins que la perspective d’un lit, un vrai lit moelleux et doux garni de draps propres. C’est cette seule et unique pensée qui a convaincu Ellÿra, toujours réticente à rencontrer des gens et à leur adresser la parole. Outre le fait qu’ils ont tué des humains lors d’une attaque (et qu’on peut potentiellement le leur reprocher), elle n’oublie pas que son père est assez riche et influent pour envoyer des espions de par le monde, à sa recherche. S’enfuir lorsqu’on se trouve en milieu sauvage est relativement simple, s’enfuir d’une auberge bondée le sera sans doute beaucoup moins. Pourtant, elle ne fait pas part de ses craintes à Fëanor.

Un regard sur l’apparence et l’attitude de son compagnon lui font acquiescer sans réellement discuter même si elle ne peut vraiment masquer tout à fait sa légitime angoisse. Il est fatigué, il a faim, il est sale et couvert de poussières, tout comme elle. Il leur faut du repos dans un endroit sûr et manger autre chose que des lapins chétifs et des baies sauvages…Ellÿra, elle, rêve secrètement d’une bassine d’eau chaude et d’un peu de savon pour prendre soin d’elle. De bien maigres ambitions pour deux aventuriers en quête de leur propre destin.

Quoiqu’il en soit, alors qu’ils allaient passer la porte de l’auberge, la jeune Elfe ne peut s’empêcher de s’arrêter, toute pâle. Il y a tellement de bruits là-dedans ! Elle entend des cris, des chants, des rires gras, des rots ignobles et d’autres bruits peu ragoutants qui lui font retrousser son nez délicat. Elle n’osera jamais l’avouer mais la finesse, la délicatesse et la noblesse elfique lui manquent souvent quand elle rencontre d’autres créatures qui, visiblement, se comportent comme des gorets à toute heure du jour ou de la nuit. Elle inspire profondément avant d’entrer, demeurant toute proche de Fëanor, sa capuche soigneusement rabattue sur ses longs cheveux de neige.

L’odeur est à la hauteur de ce qu’elle a entendu là dehors : un mélange infâme d’odeurs corporelles, de parfums lourds et de résidus qui traînent sur le sol et dont elle ne préfère pas connaître la provenance. Aussitôt, le doute s’installe quant à la perspective d’une nuit correcte dans un endroit sûr et le rêve d’un peu de quiétude fond comme neige au soleil. Silencieuse, la main posée sur la lame qui pend à sa ceinture, elle ne regarde que furtivement, par-dessous sa capuche, ce qui se présente à elle. Des humains essentiellement…Des humains qui l’observent, tout sourire, montrant leurs chicots, d’autres qui la regardent de la tête aux pieds puis qui regardent Fëanor…Son cœur bat vite.

-Ce n’est pas un endroit pour nous, cela ressemble à…à…aux marais mais avec des gens, chuchote-t-elle alors que son compagnon avance.

Fëanor, lui, ne semble pas l’entendre. Il est déjà en train de demander s’ils peuvent occuper deux places à la dernière table libre à une humaine qu’elle regarde à peine, bien plus inquiète par ce qu’elle vient de voir là-bas. Des Elfes. D’autres Elfes. Elle se hisse un peu sur la pointe de ses pieds pour murmurer à son compagnon, de manière à n’être entendue que par lui seul :

-Quoi que je dise, même si ça te semble étrange, confirme mes propos…d’accord ?

L’échange est rapide, elle accroche le regard de Fëanor qui pourra lire une certaine angoisse visible au fond de ses prunelles d’émeraude. Alors, pour ne rien laisser au hasard, elle prend place sur une chaise, sans laisser le temps à l’humaine d’acquiescer ou pas. Ellÿra semble se faire toute petite à table avant de dire à l’inconnue qui lui fait face :

-Bonjour, dit-elle le plus laconiquement du monde, sans rien ajouter de plus.

Une humaine sera toujours moins dangereuse qu’un Elfe possiblement à la solde de son père, après tout, selon elle.

Alors qu'elle était sur le point de s'endormir d'ennui, sachant parfaitement qu'un ours n'était pas aussi faible que cet espèce de menteur ignoblement vantard semblait vouloir le faire croire à son auditoire, elle se fit aborder par un inconnu. Un... Inconnu... Immédiatement, elle se tendit. De plus, il était évident qu'il maîtrisait les bonnes manières... Ses parents l'auraient-ils retrouvée si vite ? Serait-ce un noble désargenté que ses parents auraient réussi à corrompre ? Décidemment, il était tombé bien bas... Indigne de confiance, probablement.

Néanmoins, elle devait soigner son image. Alors, elle ouvrit la bouche pour accepter la requête à contre-coeur... Lorsque la compagne de l'homme, qu'elle ne remarqua que maintenant, choisit de faire irruption pour hâter la réponse. Intérieurement, elle adorait déjà cette elfe. Compagne de l'homme et anticonformiste... Oui, voilà qui lui plaisait !

Mais elle devait toujours conserver les apparences. Alors, affichant une mine indignée, elle se redressa et la sermonna :

- Madame, ignorez-vous donc les bonnes manières ? Ne savez-vous pas qu'il est très mal vu de s'asseoir à la table de quelqu'un sans que cette personne ne vous y aie d'abord invitée ?!

Puis elle s'attela à ignorer royalement tout ce que pourrait dire ou faire cette femme à l'avenir. Au lieu de quoi, elle sourit à l'homme.

- Quant à vous... Vous êtes le bienvenu, je vous en prie, prenez place !

Elle se dégoûtait elle-même. Inviter un homme à partager sa table aussi aimablement... Mais il n'y avait pas d'autre place et il avait respecté toutes les conventions... Elle n'avait donc pas le droit de lui refuser cette place.