Je m'appelle Thyrvald Runelame, géant né au sein de la chaîne de montagne du Baldor, où le givre recouvrait les montagnes comme une armure d'argent. Dès ma plus tendre enfance, il m’était impossible de me fondre dans l’image que les miens voulaient projeter de la famille Jötunn. Là où d'autres prenaient plaisir à briser la roche d'un coup de poing ou à s'affronter dans des duels brutaux sous les hurlements du vent, je passais mes journées à scruter les ombres du feu, un parchemin ancien entre les mains et des rêves au-delà des cimes enneigées.
Le temps des murmuresMon père, Fjorn le Vaillant, guerrier redouté et meneur sans pitié, incarnait la force brute des Jötunns. Sa silhouette, large et imposante, dominait notre village, et chacun de ses pas semblait faire trembler la terre sous la neige glacée. Il portait le regard sévère de ceux qui ne tolèrent ni l'hésitation ni la fragilité. A ses yeux, la faiblesse n'avait pas sa place, et il voyait d’un mauvais œil mes inclinations pour la lecture et la réflexion. Pour lui, un guerrier digne de ce nom devait compter sur ses poings et sa hache, pas sur des mots tracés à l'encre ou gravés dans la roche. Pourtant, une ombre de réconfort existait dans ce monde de glace et de pierre, ma mère, Ilda au Cœur-Sage. Son sourire, rare mais sincère, était comme une flamme dans la nuit. Elle savait que la force se déclinait sous bien des formes et tempérait les jugements de mon père, m'encourageant en secret à écouter les récits des anciens, à observer la danse des étoiles et à m’interroger sur le pourquoi des choses.
Là où d'autres jeunes Jötunns passaient leurs jours à apprendre le maniement de la masse et à élever leur endurance dans le froid cruel des montagnes, je me trouvais souvent au bord d’une des forêts du Mont Tagne, un endroit où les arbres millénaires semblaient chuchoter des légendes oubliées. Un après-midi où les vents hurlaient plus fort que d'habitude, j'avais été attiré par un bruit étrange, un murmure qui semblait résonner au-delà des collines escarpées. Curieux et animé par une étrange énergie, je m'étais aventuré plus loin que jamais, mes pieds s'enfonçant dans la neige immaculée. Ce jour-là, je découvris une caverne cachée, bordée de cristaux lumineux qui projetaient une lueur douce et bleutée.
Là, enveloppé par la sérénité de ce sanctuaire naturel, je trouvai des parchemins anciens, roulés et abandonnés, témoins silencieux d’un savoir antique. Les mots y étaient inscrits dans une langue que je ne comprenais pas et un mélange de runes que les sages du village mentionnaient parfois avec crainte. Mon cœur battait plus fort alors que mes doigts effleuraient les symboles. Il y avait là quelque chose de plus profond que la simple force martiale que mon père valorisait tant. Mais ce n'était pas seulement la découverte de ces parchemins qui changea mon destin ce jour-là.
Une voix claire et presque musicale s’éleva derrière moi, coupant net le silence. «
Ne crains pas ce que tu ne comprends pas encore, mon enfant. » Je me retournai brusquement pour me retrouver face à un être aux traits fins et aux yeux d’un vert émeraude. Il était élancé, vêtu d’une robe de tissu fin orné de motifs forestiers, et il semblait ne pas appartenir à ce monde de glace et de roc. C'était Elandriel, un elfe vieux de plusieurs siècles, dont la légende disait qu’il avait sauvé mon grand-père, Thorgald le Sage, d'une horde de trolls grâce à ses connaissances en magie et en enchantements.
Les géants n'étaient pas particulièrement connus pour leur ouverture envers les autres races, mais Elandriel semblait être une exception. Il était respecté par notre clan, non pas seulement pour sa sagesse mais pour avoir prouvé, malgré les ressentiments de certains, que l’intelligence pouvait être une arme tout aussi redoutable que la plus grande des haches. Les récits le décrivaient comme ayant soigné des guerriers aux portes de la mort avec des onguents mystérieux et des paroles murmurées en d'anciennes langues.
«
Pourquoi es-tu ici, jeune géant, là où même les corbeaux hésitent à voler ? » me demanda-t-il. Sa voix, à la fois douce et pénétrante, semblait sonder les tréfonds de mon âme. Je me sentais à la fois vulnérable et fasciné. Elandriel s'installa près de moi, et ce jour marqua le début de mon initiation aux secrets de l’enchantement, des runes et des légendes qui dormaient dans les mémoires des montagnes. Au fil des jours, je revenais en cachette à la caverne, où il me racontait des histoires des temps anciens, de la naissance des géants, et des luttes épiques contre des entités bien plus grandes que notre imagination.
Le vieux sage m’apprit l’elfique, à lire et tracer les runes, à comprendre leur pouvoir subtil et complexe. C’étaient plus que de simples symboles, elles étaient le langage de l'univers, des clés vers des vérités cachées. Il me montra comment, en les traçant sur un support, on pouvait invoquer des forces protectrices ou percer le voile des ombres. Ces savoirs, bien que passionnants, exigeaient de moi une concentration et un respect profonds. Chaque incantation, chaque ligne courbée portait une signification qui pouvait apaiser ou déchaîner les éléments.
Grâce à Elandriel, je compris que la connaissance n'était pas une faiblesse, mais une force subtile, discrète, qui pouvait transformer un géant en bien plus qu’un simple guerrier. Je me souviens d’un soir où, autour d’un feu de camp, je vis la lueur dans ses yeux, un mélange de fierté et de mélancolie. «
Thyrvald, la sagesse ne fait pas de toi un moindre Jötunn. Elle te prépare pour un destin que même la montagne ignore », me dit-il, sa voix teintée d’une émotion rare.
Je quittais chaque rencontre avec lui la tête pleine de nouvelles questions, l'esprit avide de plus de savoir. Mon cœur, autrefois divisé entre la force et l'esprit, commençait à comprendre que l'équilibre des deux était le chemin vers une puissance plus grande.
Le chant du Feu et de l’AcierÀ l’âge de quinze ans, le poids des attentes pesait lourd sur mes épaules. L’heure des combats rituels approchait, un passage obligé pour tout jeune Jötunn désireux de prouver sa valeur aux yeux du clan. Mon père, Fjorn le Vaillant, insista pour que je me prépare aux côtés des autres, que je laisse la chaleur du sang et la rage des combats s’imprégner en moi. Il n’y avait pas de place pour le doute ou la faiblesse. Sous son regard sévère, chaque hésitation se transformait en honte. Je savais que mon corps massif, forgé par les vents glacés et l’entraînement impitoyable, était prêt à affronter les épreuves. Mais au fond de moi, quelque chose me retenait. Mon esprit cherchait autre chose, une étincelle que seule la sagesse d’Elandriel avait su nourrir.
«
La force t’accorde le respect, Thyrvald, mais l’intelligence te donnera le monde », disait souvent l’elfe lors de nos échanges secrets dans la caverne éclairée par les cristaux bleutés. Ces paroles résonnaient en moi, tourmentant mes nuits et guidant mes jours. J’avais appris que la vraie puissance venait de l’équilibre entre la brutalité des poings et la finesse de l’esprit. Mais comment prouver cela à mon père et aux autres ? Le doute me rongeait, une ombre qui se glissait sous ma peau.
C’est aussi pendant cette période tumultueuse que je découvris un talent singulier, un don que même Elandriel peinait à expliquer pleinement. Il se manifestait lorsque je me laissais porter par l’intensité des flammes dans la forge, la capacité de sentir le flux des énergies naturelles et de les canaliser. Au début, ce n’étaient que de légers frémissements, comme une caresse du vent sur mes doigts, ou des lueurs évanescentes se mouvant autour de moi lorsque je méditais. Mais, peu à peu, j'appris à contrôler ce don. Je pouvais graver des runes sur le métal, des symboles qui vibraient d'une énergie palpable, érigées comme des boucliers invisibles entre moi et le danger.
Cette découverte apportait un paradoxe à mon entraînement. Chaque jour, je m’entraînais à manier la hache et le bouclier sous l’œil perçant de mon père, m’imposant des heures de combats acharnés qui laissaient mes muscles meurtris et mon corps épuisé. Puis, la nuit, alors que le reste du clan tombait dans un sommeil profond, je me réfugiais dans un coin de la forêt, à l’abri des regards, pour pratiquer la magie des runes. Les filaments de lumière qui dansaient autour de mes mains lorsque je me concentrais semblaient presque me parler, des murmures doux qui se confondaient avec le bruissement des feuilles et le chant lointain des chouettes.
Un soir, alors que j’entraînais mes doigts à tracer des lignes précises dans la neige fraîche, une lueur bleutée surgit et s’étendit devant moi, formant un cercle protecteur. Je me tenais au centre, le souffle court, sentant l’énergie vibrer à travers mes veines. C’était une sensation à la fois puissante et apaisante, comme si la nature elle-même m’avait reconnu et accepté. À ce moment, j'avais compris que mon don n’était pas seulement une curiosité, c’était une partie de moi, une source de force aussi vitale que mes muscles d'acier.
Mais rien de tout cela n’était facile. Au matin, l’épuisement me rattrapait, et mes performances lors des duels d'entraînement s’en ressentaient. Mes camarades me regardaient avec un mélange de curiosité et de mépris, certains murmuraient que j’avais l’esprit ailleurs, que je n’étais pas un vrai guerrier, que je ne pourrais jamais prétendre à l’honneur qui m’était promis. Le doute se glissa dans mon esprit, et pour la première fois, je me demandais si je ne devais pas abandonner mes aspirations et me conformer aux attentes du clan.
Ce fut lors d’une froide journée d’entraînement que mon père, sans un mot, posa sa large main sur mon épaule après un combat particulièrement difficile où j'avais encaissé des coups plus que je n'en avais donné. Il n’y avait ni reproche ni encouragement dans ses yeux, seulement une interrogation muette. Ce simple geste, pourtant banal, raviva en moi une flamme. Je ne pouvais pas me contenter de choisir entre la force et l’esprit, je devais prouver que l’un n’était pas l’ennemi de l’autre.
C’est alors qu’Elandriel me rendit visite à la forge de Bjorn Martelacier où je travaillais le métal après mes entraînements. Le maître forgeron, au début méfiant envers l’elfe, avait fini par accepter sa présence, fasciné par les histoires qu’il racontait et les conseils alchimiques qu’il murmurait. Ce jour-là, Elandriel me tendit une petite pierre runique, gravée d’un symbole que je ne reconnaissais pas. «
Utilise-la quand le moment viendra », dit-il en fixant mes yeux d’un regard perçant. Je la pris, sans comprendre ce qu’elle signifiait vraiment.
Le jour des combats rituels arriva, et le froid mordait la peau comme des crocs affamés. Les jeunes guerriers s’alignèrent sous les cris de notre clan, le fracas des armes résonnant entre les montagnes. Mon cœur battait, lourd de nervosité et de détermination. Lorsque mon tour vint, je serrais la pierre dans ma main et entrai dans l’arène. Les premières minutes furent un tourbillon de cris et de chocs métalliques. Je parvins à parer les coups, sentant l’énergie me traverser, prête à s’éveiller.
Soudain, dans un moment de parfaite clarté, je glissai la dans le revêtement intérieur en cuir de mon bouclier, traçant d’un geste fluide le symbole de protection appris aux côtés d’Elandriel. Une lueur bleutée s’éleva, et le silence tomba sur l’assemblée. Mon adversaire, surpris, recula d’un pas, l’esprit confus. Dans ce court instant de répit, je frappai de mon écu avec la force du géant que j'étais, mais porté par l'intelligence que j'avais chérie.
Ce jour-là, je prouvai que l’équilibre entre la force et l'esprit n'était pas une chimère mais un chemin qui m'appartenait.
Le forgeron des glacesMon apprentissage de la forge commença à mes dix-sept ans, alors que l’hiver recouvrait notre village d’un manteau immaculé. Sous l’œil vigilant de Bjorn Martelacier, le maître forgeron du clan et ami de longue date de ma mère, j’entrai dans un monde où la chaleur des braises rivalisait avec le froid glacial des montagnes. Bjorn était un homme massif, taillé dans le même roc que les pics qui nous entouraient. Sa barbe épaisse et ses yeux perçants, empreints de sagesse et de sévérité, inspirèrent à la fois respect et crainte. Sa voix, grave et résonnante, semblait porter en elle l’écho même des montagnes, commandant l’attention de tous dans la forge.
«
La forge n’est pas qu’un métier, Thyrvald », me dit-il un jour, ses mains larges enveloppant un marteau comme s’il s’agissait d’un simple fétu de paille. «
C’est un art, une danse entre toi et le métal. Il te teste, te défie de le comprendre. »
Chaque matin avant l’aube, je rejoignais Bjorn, les mains encore engourdies par le froid, le souffle se condensant en nuages éphémères. L’intérieur de la forge, enveloppé par la lueur rougeoyante des flammes, offrait un contraste saisissant avec le monde glacé au-dehors. Le crépitement des braises, le grondement sourd des soufflets et le rythme régulier des marteaux formèrent bientôt une symphonie à laquelle je ne pouvais plus me passer. Les premiers jours furent un test d’endurance, mes doigts, peu habitués à manier autre chose que la hache ou le parchemin, se couvrirent rapidement de cloques et de brûlures. Chaque coup de marteau envoyé sur l’enclume résonnait dans mes bras, faisant vibrer mes os jusqu’à l’épuisement.
Mais Bjorn était inflexible. Il se tenait à mes côtés, ses yeux d’acier surveillant chacun de mes gestes, corrigeant la moindre erreur d’un mot sec ou d’un grognement approbateur. La patience devint ma plus grande alliée. J’appris à observer le métal, à lire la couleur de ses reflets sous la chaleur, à anticiper ses caprices. «
L’acier a une âme, mon garçon », me répétait-il, une lueur étrange dans les yeux. «
Écoute-le, et il te révélera ses secrets. »
Les semaines se transformèrent en mois puis en années, et peu à peu, mes mains acquirent la mémoire du geste parfait. L’acier ne mentait pas, il se pliait et cédait uniquement à celui qui savait le comprendre, à celui qui respectait sa nature inflexible. Avec chaque pièce que je forgeais, un lien profond se tissait entre le feu, l’enclume et moi. Un jour, alors que je terminais mon premier casque orné de runes de protection, Bjorn posa une main lourde sur mon épaule. « C’est du bon travail, Thyrvald. Tu es prêt à créer pour le clan. »
Ce furent des mots simples, mais dans la bouche de Bjorn, ils avaient la valeur d’un trésor. L'acceptation par cet homme, connu pour sa rudesse et son exigence, était une victoire que ni l'acier ni la magie ne pouvaient égaler. Rapidement, mes créations commencèrent à circuler parmi les guerriers de notre village : casques robustes, épées équilibrées et boucliers résistants.
Les années passèrent, et la forge devint mon sanctuaire, l’endroit où le guerrier et le sage s’unissaient en moi. Le soir, lorsque le feu faiblissait et que l’ombre des montagnes s’étendait sur le village, Bjorn et moi partagions un silence respectueux, brisé parfois par des histoires de batailles passées ou des récits sur les anciens forgerons qui avaient façonné le destin des Jötunns. «
Un jour, tu prendras ma place, Thyrvald », murmura-t-il lors d’une de ces soirées, ses yeux fatigués fixant le rougeoiement des braises. «
Mais avant cela, tu devras affronter le monde et comprendre que le feu qui forge l’acier n’est rien comparé à celui qui brûle en toi. »
Une nuit, je me retrouvai seul à la forge, poursuivant une idée qui m’avait obsédé toute la journée : la création d’une armure qui refléterait l’équilibre parfait entre force et sagesse. Mes mains, désormais aguerries, façonnèrent une armure de plate, renforcée par une série de runes discrètes, presque invisibles à l’œil nu. L’effort m’épuisait, la chaleur accablante et le martèlement répétitif envahissant mes sens. Puis, soudain, alors que je gravais les derniers détails, un éclair de lumière bleutée jaillit du métal. Les runes prirent vie, émettant une lueur douce, presque bienveillante. Le souffle coupé, je compris que j’avais franchi une étape. La forge n’était plus seulement un lieu de travail, mais un pont entre le matériel et le mystique.
Le lendemain, Bjorn examina mon travail avec une attention inhabituelle, ses sourcils se levant légèrement en une expression rare d’étonnement. «
Voilà qui est digne des contes », dit-il enfin, sa voix rauque adoucie par un soupçon de fierté. Il se tourna vers moi, le regard profond. «
C’est le début de ton propre chemin, Thyrvald. Que la montagne te garde, où que tes pas te mènent. »
Ces mots restèrent gravés en moi, tout comme la chaleur de la forge et le chant du marteau sur l’acier. Car j'avais compris : le feu était mon maître et mon compagnon, un rappel que la puissance ne réside pas seulement dans les muscles, mais dans la volonté de façonner le monde selon sa vision.
Le chemin du ProtecteurÀ l’aube de mes trente ans, la vie prit un tournant décisif. Notre village, était assailli par une immense horde de blangos, des singes au pelage blanc, à la fourrure épaisse et à l’agressivité notoire qui surgissaient de la nuit comme des ombres vivantes. Cette nuit-là, le rugissement des flammes perçait le ciel, et l’air résonnait du cliquetis métallique des armes et des cris de guerre. L’angoisse bouillonnait en moi, mais elle se mêlait à un sentiment d'exaltation. C'était l'occasion de prouver, enfin, que je n’étais pas seulement un rêveur, penché sur des parchemins anciens, mais bien un guerrier avec l’âme d’un protecteur prêt à défendre son peuple.
Lorsque la horde s’élança, le fracas fut immédiat et total. Les premiers assauts furent brutaux, je sentis l'impact des coups dans chaque fibre de mon être. Mon corps massif, fruit de mes longues années d’entraînement et de forge, se mouvait avec une précision et une puissance que je n’avais jamais ressenti auparavant. Chaque mouvement était instinctif, mêlant la force des Jötunns à la stratégie que j’avais apprise à travers les enseignements d’Elandriel. Je parai une griffe mortelle avec mon bouclier avant de porter un coup de hache circulaire qui trancha la créature en deux. Le sang jaillit, souillant la neige à mes pieds et me rappelant que le froid du combat était aussi glacé que celui des montagnes environnantes.
À mes côtés, mes frères d’armes luttaient avec une rage égalant la mienne. Les hurlements se perdaient dans la nuit alors que le village tout entier combattait pour sa survie. L’odeur âcre de la fumée et du sang emplissait l’air, chaque respiration se chargeant de cendres et de souffrance. Pourtant, au milieu de ce chaos, je sentis une étincelle, une lueur d'espoir qui naissait à chacun de mes coups au but.
Les heures s’étirèrent en une éternité, mais finalement, à l'aube, le silence retomba sur le village. Le sol était jonché de corps ennemis et de ceux des nôtres. Nous étions parvenus à repousser les assaillants, mais le prix avait été lourd. Mes bras tremblaient de fatigue, mes muscles hurlaient leur épuisement, mais j'étais debout, et vivant. Mon regard se posa sur les survivants autour de moi, des guerriers aux visages marqués par la lutte mais empreints de fierté. Cette nuit-là, aux yeux de tous, je n’étais plus seulement Thyrvald, le forgeron et l’érudit. J'étais devenu un véritable guerrier, un gardien de notre peuple.
Cependant, une fois la poussière retombée et les jours de deuil passés, je sentis un poids dans mon cœur. Une victoire défensive n'était pas suffisante pour apaiser l'aspiration qui me rongeait de l'intérieur. Les récits des anciens et les discussions tardives avec Elandriel continuaient de tourner dans mon esprit. Lors de nos rencontres, il avait parlé des artefacts antiques disséminés à travers le monde, objets de pouvoir et de savoir, capables d'offrir à ceux qui les trouvaient des dons inimaginables. L’un d’entre eux me fascinait plus que tout : le Cœur de Ymir, une amulette légendaire dont on disait qu'elle renfermait l'essence du premier géant. Cette relique, si elle existait réellement, était censée accorder des visions imprégnées d'une sagesse ancienne, de quoi guider et renforcer non seulement moi-même, mais notre clan tout entier.
Les nuits qui suivirent, je ne trouvais guère le repos. Chaque crépitement du feu dans la forge, chaque murmure du vent dans la forêt semblait résonner comme un appel à l’aventure. «
Le savoir est la vraie force », m’avait dit Elandriel plus d’une fois, et ses paroles prenaient désormais un sens plus profond. Je ne voulais pas seulement protéger les miens des dangers imminents, je voulais les prémunir contre ceux que nous ne pouvions encore concevoir. Et pour cela, il me fallait quitter les montagnes, arpenter les terres inconnues et suivre les chemins des anciens.
Lorsque je fis part de ma décision à Bjorn et à ma mère, je fus accueilli avec un silence lourd. Bjorn, après un long moment, me dévisagea avec un regard dans lequel se mêlaient fierté et inquiétude. «
Pars, Thyrvald », dit-il finalement. «
Mais souviens-toi, où que tes pas te mènent, le feu de la forge t’accompagne, et la montagne ne t’oublie jamais. »
Le départ vers l'inconnuLe jour de mon départ approchait, emportant avec lui le poids des adieux et l’excitation brûlante des promesses futures. La forge de Bjorn, encore marquée par les dernières flammes de la nuit, exhalait une odeur de fer et de cendres qui semblait graver la scène dans la mémoire du village. Bjorn se tenait là, droit et immobile, ses yeux gris perçant le matin pâle. Ses mains rugueuses, tâchées de suie et de cicatrices, serraient un marteau qu’il me tendit en guise d’héritage silencieux. «
Prends-le, Thyrvald. Que chaque coup que tu porteras sur ta route résonne du souvenir de notre village », dit-il, sa voix se brisant comme l’acier sous le marteau.
À ses côtés, Elandriel restait étrangement serein, enveloppé dans sa cape de lin sombre, brodée de runes argentées qui semblaient capturer la lumière vacillante du matin. Ses yeux, d’un vert envoûtant, croisèrent les miens. «
Les étoiles ont des chemins que même les montagnes ne peuvent deviner, Thyrvald. Ce voyage ne te révélera pas seulement le monde, mais aussi toi-même », murmura-t-il avec une lueur énigmatique. Sous son bras, il tenait un grimoire ancien qu’il me tendit. Les pages parcheminées étaient remplies de glyphes inconnus, de récits entrelacés de secrets et de cartes sibyllines.
Je glissai le grimoire dans mon sac, le cœur battant. Ma hache, forgée par mes soins et ornée des runes protectrices, reposait à mes côtés, sa surface polie et glacée semblant frémir sous ma main. Je sentais les runes vibrer légèrement, comme un écho de la force que m’avait insufflée Elandriel. Mon père, qui avait longtemps regardé ma quête de savoir d’un œil critique, s’approcha. Ses pas résonnaient, lourds de réticence et de fierté non-dite. Il posa sa grande main calleuse sur mon épaule. «
Je comprends, maintenant, que ce feu en toi n'est pas une rébellion, mais un appel ancien. Pars, et reviens avec la sagesse que même les ancêtres convoitent. »
Le soleil se levait lentement, inondant le village d’une lumière dorée. Les flancs des montagnes qui nous avaient protégés et défiés prenaient une teinte chaleureuse, comme un adieu des dieux eux-mêmes. Mon regard s’attarda sur le panorama familier, la grande muraille de pierres abruptes, le cri des corbeaux qui annonçaient le début d’une nouvelle journée, et les brumes s’effaçant sous la lumière. Un souffle glacé caressa ma peau, comme pour imprimer une dernière fois la sensation du Mont Tagne en moi.
Je pris une profonde inspiration, savourant cette sensation étrange, mélange de liberté et d’appréhension. Dans mon sac, en plus du grimoire et de la hache, reposaient quelques tomes d’Elandriel, manuscrits parsemés de notes cryptiques et d’annotations griffonnées à la hâte. Leur parfum de papier ancien et de mystères à moitié révélés s’insinuait jusqu’à mon âme. Chacun de ces livres avait été choisi avec soin, chaque ligne étudiée, chaque mystère pesé et envisagé. Ils seraient mes compagnons dans cette quête de vérité, des fragments de l’elfe resté derrière moi, à veiller sur le clan.
Je lançai un dernier regard à la forge, qui symbolisait mon passé : des années de coups, de chaleur et de création, où le métal et le feu m’avaient appris la patience et la résilience. Bjorn me fit un signe de tête, le genre de geste rare qui valait mille paroles. L’amitié entre nous s’était forgée dans la braise, et je savais qu’à travers mes créations, son enseignement continuerait de vivre.
Je m’engageai enfin sur le sentier qui serpentait vers les plaines lointaines, une route inconnue bordée de mystères et d’épreuves. L’excitation vibrait dans mes veines, mêlée à une crainte sourde que seul le vent savait murmurer. J’avais été préparé pour ce moment, depuis l’instant où j’avais découvert la caverne secrète de mon enfance, bercé par les récits d’Elandriel et par les coups réguliers du marteau de Bjorn. J’étais à la fois géant, protecteur en devenir, forgeron et enchanteur, portant en moi l’héritage des Jötunns et l’éclat fragile du savoir que j’avais tant chéri.
Je marchai vers le sud, là où les contes évoquaient des artefacts cachés et des royaumes perdus. Le plus intrigant d’entre eux, le Cœur de Ymir, ne quittait pas mes pensées. Je savais que cette amulette, capable d’accorder des visions d’une sagesse infinie, était plus qu’un mythe. Elandriel avait mentionné, lors d’une veillée au coin du feu, que ceux qui suivaient la lumière des étoiles pouvaient trouver des réponses que même les dieux ne murmuraient plus. «
Cherche, et tu trouveras des reflets de toi-même », avait-il dit.
Alors que mon village disparaissait derrière moi, je sentis l'écho des adieux se dissiper pour laisser place à la mélodie nouvelle de l’inconnu. Mon cœur, ce matin-là, battait non seulement pour la protection de mon peuple, mais aussi pour la quête plus vaste de la vérité et des mystères enfouis sous le ciel étoilé. Je partais non pour conquérir, mais pour comprendre, écrire mon propre récit, celui d’un géant érudit prêt à déchiffrer les secrets que les dieux avaient laissés, non dans le vent des montagnes, mais dans le souffle de l’univers lui-même.
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