Nom : Samy, ça suffit bien

Âge : 34 longues années d'aventure et toujours un gosse. Gardez votre âme d'enfants, les minots

Sexe : Mâle

Race : Stryge noir dont la teinte des ailes ne contraste que trop avec ce sourire ravageur

Classe envisagée : De toute évidence, Virtuose. Une voix d'or, un doigté précis et ce charme envoûtant ne sauraient être égoïstement gardés. Et sinon, qu'est-ce que c'est que ce "solfège" dont on vante souvent les mérites ?

Métier envisagé : Eh bien s'il faut choisir, chasseur !

Mais ce cher Samy, quant à lui, gagne humblement sa vie en tant qu'Adepte du Cri et s'évertue à apprendre le luth.

Capacité magique : Le plus élégant clin d'oeil de Dùralas, garanti de faire défaillir neuf sans-ailes sur dix. Accessoirement, on lui a imposé d'apprendre l'aérokinésiste, mais c'est bien moins impressionnant. Quoique la sonomancie a des frivolités intéressantes.

Pour le moment, Samy ne sait altérer que légèrement le volume sonore d'un bruit ainsi que sa fréquence/son timbre. L'effet n'a rien de léthal, mais il peut causer de légers dommages à ceux qui l'entendraient de trop près..

Mode hardcore : Temporisons. Non merci.

Langue(s) parlée(s) [Facultatif] : Tout le monde sait que le Dùralassien est de toute manière le plus élégant des dialectes..

On ne décrit pas Samy.
Pas parce qu'il s'agirait d'une impolitesse que de parler dans le dos d'autrui. On ne décrit pas Samy, car nous n'en sommes simplement pas capables. Comment poser par palabres l'indicible ? A quoi bon vanter ses mèches virevoltantes en parfaites spirales, couvrir d'éloges la profondeur rougeoyante de ses pupilles ou encore le galbe parfait de son buste qui n'a d'égale générosité que le trésor qu'il renferme ? Ah ... libre à chacun d'essayer. Quel poète, quel dramaturge saurait rendre justice à un sourire aussi accueillant qu'il paraît insensible ? Non, aucun ne trouverait la juste flatterie. Humble dans sa stature, il frôle la normalité tout en se l'interdisant égoïstement. Après tout, il n'est pas stryge à faire les choses à moitié, ne mentionnons pas sa mère. Une femme si fière n'aurait daigné offrir à la nature une ingrate silhouette qu'il lui faudrait contempler un siècle ! Non, ça n'aurait pas été convenable. Je dirais même que cela n'aurait pas été juste. Pour Sam.

A la place, et c'est à ces instants que l'on observe que la nature des stryges est bien mieux faite que ... celle des autres, la brave dame a donné un sens plus beau à la beauté elle-même. Il n'a certes pas la taille d'un colosse, ni la circonférence brachial d'un exécuteur, mais avouons avec honnêteté que quiconque s'enorgueillit de centimètres n'a que bien peu de choses pour justifier son existence. Et puis 1m95, c'est toujours plus grand qu'un sans-aile. Il n'y a donc pas de quoi rougir.

Ah rougir ! Oui, c'est certainement ce que vous feriez si vous pouviez le voir, comme moi je le vois. Un être parfait dont les yeux me hantent. Il est d'une subtilité étrange qui donne au singulier une pincée d'évidence. Samy parfois se permet un maquillage aux tons légers qui offre à son regard déjà insolemment provocateur, une pointe de danger. Comment ne pas s'y perdre ... par pitié, expliquez-moi.

Ses ailes cintrent son ombre d'une aura mystique, les vestiges de son origine et pourtant ... pourtant ! Quelques imperfections, héritages de ses folles aventures, parsèment son visage sous la forme de cicatrices. Quel beau rappel, quelle mansuétude. Si divin soit-il, il expose malgré tout sa mortalité juste sur ses joues, sous ses yeux, sur sa lèvre irrésistible. Des marques dont l'imperfection perfectionne le sacré. Ce n'est pas qu'il serait parfait, car la perfection est lourde et tarissable. Non. C'est juste ... qu'il est. Et c'est déjà beaucoup.

Ce serait l'insulter que de dire qu'il est un portrait de la magnificence. Car, comme vous essayez certainement de l'imaginer, les portraits ne bougent pas. Or, Samy, lui, est bien plus qu'une simple image. Une démarche captivante, dont chaque pas pourrait s'assimiler à une danse lascive. Parfois taciturne, le beau châtain s'autorise des enjambées directes, qui vont droit au but, qui ne cherchent pas l'anecdote. Une allure déterminée, pour aller où ? Seul lui le sait. Ses accoutrements sobres témoignent d'un train de vie modeste, qui ne cherche pas à insulter sa propre grâce. Le beige convient à son teint d'or. Le marron lui sied également, le blanc aussi, et soyons fous, même du fuchsia lui siérait !  Mais par pitié, ne lui imposez pas du jaune ... barbares.

Permettez-moi de terminer sur sa voix. Ah, sa voix. L'écho d'une caverne dans l'écho d'un temple, dans l'écho d'un monument. Il n'est d'enceinte assez grande pour imiter la calme puissance de son acabit vocal. Lorsqu'il parle, on entend l'orage gronder. Suave, mais puissante. Posée, mais mélodieuse. Et quand il chante ... c'est l'inverse. Un paradoxe vivant, l'antithèse de la logique et le compagnon de l'incroyable.

Je n'ai aucun désir d'être grossier, je me permets ce texte seulement parce que je le connais bien. Il est mon meilleur ami, après tout, et pour moi, il signifie le monde. J'espère seulement qu'il ne jugera pas trop sévèrement ces pages.

Signè-je avec humilité,
Votre doux Serviteur

Samy.

Extrait de Récits en terre banale, Prologue : Biographie de mon plus cher camarade.

Développez le caractère de votre personnage, sa psychologie, la manière dont il réagit, comment il perçoit le monde qui l'entoure, ce qui le pousse à être comme il est. Vous pouvez aussi révéler ce qu'il aime ou non, ses atouts, ses défauts, etc.
N'hésitez pas à en faire un personnage profond et complet, rendez-le réel !

Samy, c'est vraiment quelqu'un. Un parfait hypocrite qui joue les idiots plus par habitude que réelle conviction. Parfois, je me demande s'il m'est sympathique seulement pour entretenir notre jeu, ou s'il est juste moins véhément que le reste de notre peuple. Samy, il n'a rien d'un généreux, c'est un avare qui ne donne que pour récupérer. Sa petite personne, c'est l'essentiel. Doublez ça d'un couard et vous l'avez, votre bon petit Samaël. Il déteste ce prénom, "un nom d'aspirant assassin qui se maquille tout de noir", qu'il dit. Il a beau parler, je le vois le mascara sous ses yeux. Comme je le disais, hypocrite. Le genre d'inconscient qui finira exactement par devenir ce qu'il a peur d'être. Un con coincé dans son rôle.

Heureusement que c'est drôle, un con. Voyager avec, ça évite de s'ennuyer trop rapidement et ça invente des histoires aussi fascinantes que débiles. Mais encore une fois, ça passe le temps. Il est distrayant, c'est quelque chose que je serais ingrate de lui retirer. Et quel obstiné. Cette histoire de pari, ça va faire bientôt un an qu'on y est et j'ai pas l'impression qu'il compte abdiquer. Je ne sais pas si c'est de la mauvaise foi ou bien s'il trouve sincèrement que rien n'arrive à la cheville du foyer, pour l'instant. Il m'a juré qu'il serait honnête ... sauf que cet enfoiré est bon menteur.

C'est comme si tout n'était qu'une vaste blague, et que le but de la vie de Samy, c'était de gagner le plus de temps possible avant la chute. Je ne sais pas combien de temps je vais devoir supporter ça, mais j'ai aussi mon tempérament de mule. Le plus horripilant, ça reste les petits choix de la vie quotidienne. Ils nous ont viré de la dernière taverne après que la douzième boisson commandée par monsieur n'ait toujours pas figuré sur la liste. Une simple bière n'était pas assez pour lui. Des goûts de luxe. Ironique pour un fils d'ouvrière.

J'ai ainsi découvert les goûts les plus sordides de notre bon Samy. Il aime le vin fruité, les spiritueux avec une légère pointe pétillante, le raisin, la viande rouge mais seulement avec des épices ainsi que la soie, bien qu'il se refuse d'en porter. Monsieur a peur d'être efféminé, mais je vois toujours le maquillage sous ses yeux !

Et par-dessus toutes les choses qu'il pourrait ne pas aimer, qu'est-ce qu'il a choisi ? Le jaune. Juste ça, le jaune. Il déteste le jaune. Je ne sais pas pourquoi, je ne le saurai jamais de manière à ce que soit compréhensible pour moi. Il justifie cela en disant que si la merde n'était pas marron, alors elle serait jaune. Allez savoir ce que ça signifie, je pense qu'il en fait juste des caisses parce qu'il trouve que ça s'accorde mal avec ses yeux.

La soirée dernière, je l'ai vu dodeliner en rythme avec la musique d'un barde. J'ai bien cru avoir gagné mon pari, mais il m'a rétorqué "C'est plaisant, mais l'on entend bien plus qualitatif à la tour". J'aurais gagné ce jeu depuis longtemps, sans son orgueil. Je crois qu'on va en croiser beaucoup, des choses qui sont plus qualitatives à la tour ... dans quel pétrin me suis-je mise ?

Annexe aux Récits en terre banale

Le petit Samaël était un stryge banal, il faut reconnaître qu'il est dur de s'illustrer de ses pairs lorsque l'on est encore bambin. Rien ne le rendait spécial, sinon sa curiosité pour les mots et les quelques poèmes que sa bonne à rien de mère était capable d'aligner. Des vers bien maigres de sens et plus dénués encore de forme, mais au moins, ils rimaient. Ce n'était pas pour rien qu'elle n'avait pas su intégrer le Cri, cette Laelia. C'était pour encore moins de raisons que son mari avait préféré crever en-dehors de la tour que rester avec. Elle était belle, mais inintéressante, une véritable catastrophe charismatique. Le genre de personne que l'on paierait pour profiter de leur silence. Pauvre Lae ... au moins, elle fut utile pour son petit. Donner le goût des mots, même aussi joliment accordés qu'une salade avec du cacao, ce n'est pas une mince affaire.

Elle avait tout prévu pour se rattraper, la Lae. Un nom pompeux pour son gosse ? Fait. Une éducation rigide qui a eu pour principal effet de décupler son envie de partir ? Fait. Lui faire miroiter un semblant de liberté en intégrant la branche qui, COMME PAR HASARD, permettait à ses adeptes de partir ? Fait. Qui sait, peut-être avait-elle vraiment fait tout ça par amour. Mais c'était Lae, et Lae, c'était la froideur incarnée. Quelle femme.

Samaël grandit avec plusieurs bambins des quartiers ouvriers, sans vraiment se faire d'autres amis que quelques livres. Il n'avait pas besoin de cela, après tout, il avait juste besoin d'être meilleur que chacun d'entre eux. Ce n'était pas trop difficile, il suffisait de rester plongé dans les livres, puis un peu de conseils bien placés de la matrone qui s'y était déjà essayé, et les chances du Samy adolescent avaient grimpé en flèche.

Il fut remarqué pour son obéissance, sa discipline et son goût prononcé pour ce qu'on pourrait appeler "le mot juste". L'enfant promettait une rhétorique puissante et radicale. Lors de son initiation aux 3 branches, il fut très clair qu'on avait déjà tracé sa route sous ses pieds.

Mais dans les faits, cela s'avéra bien plus compliqué dans la pratique. Sa grande validation fut achevée à 110 points, après avoir chassé loups et blangos, il eut la jugeote de suivre un de ses camarades plus téméraire qui s'était essayé à un grizzli. Le salaud avait réussi. Heureusement que ça a beaucoup de poils un ours, Samaël ne se fit pas prier pour frauder.

Il n’obtint rien du rituel d'élévation, sinon la déception amère de ne pas avoir été choisi comme polyandre. Ah ... il devait certainement avoir été le troisième choix. Si seulement la Matriarche s'autorisait un consort de plus, ça aurait été lui. Ça aurait été navrant cependant de perfectionner l'aérokinesiste pour finalement ne pas s'en servir. La sublime régente devait certainement le savoir ... c'était la plus probable cause.

On ne mentionnera pas que le roc détruit par ses soins lors de l'épreuve était tout juste assez imposant pour assurer son passage. Être médiocre c'est une chose, être médiocre avec autant d'effort, c'est un exploit. Heureusement, avec ses manières de flambeur, on se disait à la place qu'il avait du potentiel, mais qu'il devrait être plus rigoureux dans l'exercice. Autant dire qu'il n'avait jamais été aussi vexé de sa vie.

Malgré cela, la fierté de Lae essuya toutes les années de peine qu'avaient causé son échec à cette même épreuve. Il est toutefois dommage de noter qu'elle ne revit plus jamais son fils après cela. Comme c'est étrange.

Car lui, finalement, se plaisait bien dans cette vision qu'on avait adopté à sa place. Le Cri, manier le verbe pour intimider, impressionner, manier l'air de sorte à refroidir le sang d'autrui et parfois le faire couler. des perspectives séduisantes. Très séduisantes. En fait, tout avait l'air séduisant, jusqu'à ce que Sola vienne s'immiscer dans cette histoire. Et Sola était tout, sauf séduisante. Initiation bouclée, vingtaine amorcée ... et l'amusement qui lui était promis fut bien vite volé à cause de cette plaie.

- Alors, heureux ?

Une question qui laissait ardemment désirer son contexte. De toutes les potentielles admiratrices qu'il ait pu avoir, celle-ci ne s'embêtait pas de la forme. A ses vingt-deux ans, avec les quelques remarques encourageantes qu'on avait fait à son sujet, Samaël avait déjà gonflé un égo voué à l'absurde. Il avait parcouru Duralàs pendant déjà deux années et avait vu son ancien compagnon de route être remplacé par une novice qui avait la gueule bien grande.

- Toujours, lorsqu'il s'agit d'éveiller des sans-ailes.
- Et ça marche souvent ?

Elle n’avait pas sa forte expérience de deux ans, alors Samaël mettait le questionnement lourd sur le compte de la curiosité intellectuelle. Le visage de Sola portait toutefois une toute autre expression que celle de la naïveté désuète d’une novice. On aurait juré qu’elle venait de l’inviter à une joute. Il discernait un semblant de défi, dans son rictus. Comme si elle savait quelque chose dont elle était certaine qu’il ignorait. L’insolence.

- L’évidence marche toujours, novice. Qu’elle soit immédiate ou bien sur la durée, notre domination culturelle est inévitable. Il n’attendit pas de question pour poursuivre. Qu’advient-il du nid repéré par le serpent ? Il se fait dévorer, et même les mères abdiquent leurs oeufs. La loi naturelle, c’est l’évidence. Mais tu l’apprendras avec plus de temps.

Deux ans de forte expérience qui s’exprimaient là. Ils venaient de quitter la tour et Daniss, ainé de leur trio, car toujours par trois ils devaient aller, s’indifférait brillamment des discours pompeux de son cadet. Lui aussi avait deux ans d’expérience sur la ferveur parfois trop excentrique de Samaël. Il en avait cependant infiniment plus dans la voix du Cri. Les rides de son front confessaient l’expérience du propos et du monde extérieur. Damiss, contrairement à ses jeunes compagnons, savait que pour se faire entendre, il fallait savoir se taire.

- En deux ans à l’extérieur, c’est ta conclusion ? Que peu importe où nous irons, nous ne trouverons rien qui ne nous égale ? Qu’il n’y a rien qui fasse un minimum d’ombre à notre Tour ?
- Oui … Confirma-t-il d’une moue suffisante. C’est mon diagnostic.
- “Diagnostic” ? Ha ! Parfait, l’apothicaire, t’es prêt à parier quelle concoction là-dessus ?
- Une bouteille de claret devrait convenir.

Touché dans son orgueil. Daniss n’ignora qu’un temps la supposition malvenue de Sola, mais sévit au bout du troisième rappel de leur pari. La claque qu’il asséna à la plus jeune du trio résonna dans la vallée qui les abritait. Samaël n’eut à s’inquiéter que d’une remontrance, quoique légèrement musclée. Il tint évidemment pour responsable l’immaturité de sa consoeur. Leurs interactions se raréfièrent dès lors et le climat se refroidit sèchement dans le trio.

Elle en fut d’autant plus que Daniss avait la dague vive, à tel point qu’il lui fallait se ménager pour ne pas dépasser le quota de victimes autorisées par le Code de la Mort. Après 3 mois de voyage, il se décida à remplir ce dernier avec une démonstration particulièrement cruelle. On n’aurait su dire qui du jeune garçon ou de la mère de la jeune femme choisie en exemple avait pleuré avec le plus d’intensité. Au moment où le visage de cette dernière heurta la boue, Samaël observa rapidement sa congénère plus jeune. Un sérieux désolant, une rigidité qui trahissait un inconfort exécrable glaçait son expression.

- Indigne d’une stryge !

Paroles qui résonnèrent en harmonie avec une nouvelle gifle, plus violente que la première. Evidemment, Samaël avait fait état du manque de stature de la jeune femme. Daniss s’était précipité sur l’occasion pour l’éduquer. Une punition satisfaisante, qui tendit toujours plus les relations parmi le trio. L’aîné était devenu un genre d’instrument pour faire chanter Sola, la promesse d’une bonne dose de violence au moindre écart. Promesse que Samaël brandissait sans la moindre honte. Près de quatre années de pérégrination passèrent ainsi. Ils devinrent des compagnons par dépit et se retrouvaient même à se côtoyer à la tour, plus par habitude que par plaisir.

- Toujours pas résolu à payer ma bouteille ? Cinglait Sola à chaque fois qu’ils se retrouvaient à la taverne.
- Qu’est-ce qui te fait croire que t’en mérites une ?

Cette nuit-là, ils avaient déjà bien consommé. En vu du départ prévu au surlendemain, ils avaient convenu d’une préparation psychologique avant de retourner en vagabondage. Samaël enchaînait les oeillades entendues aux clients et clientes encore présentes et un minimum convenables physiquement.

- Et notre pari ?
- A quel moment t’es tu donnée l’impression de l’avoir remporté ?
- Tu vas faire comme si on avait pas vu les montagnes du Baldor ? La vallée à l’embouchure de la rivière et de la forêt de sapins ? Les plages à l’Est d’Ishtar ? Dans tout ça, tu vas oser me dire qu’il n’y a rien qui se mesure à la tour ?
- C’était pas moche … mais bon, ça reste du banal, tout ça. Rien de très impressionnant, ou même remarquable.

Il commença à fredonner en grattant sur un luth.

- Où est-ce que t’as trouvé ça ?
Là où le barde l’a laissée.
- Et il est où le barde ?
- Là où l’alcool l’a laissé ?

Effleurant maladroitement les notes, Samaël parvint à assez heurter les oreilles de sa comparse pour qu’elle lui arrache l’instrument des mains.

- Tu traites tes conquêtes mieux que ça, j’espère.
- Hem … elles ne s’en sont jamais plaintes. glissa-t-il à lui-même alors que Sola commençait à manier bien plus habilement les cordes.
- Ou comment avouer que t’en as jamais eu.

“Connasse”. Il l’avait presque pensé tout haut, mais la vexation avait légèrement bouché sa gorge. Il fixait l’instrument en essayant de réprimer toute remarque. C’était plus énervant encore de voir qu’elle se débrouillait bien avec. Il avait dû laisser cette admiration tue transparaître sur son expression, car …

- Ouais, je sais. Pas trop mal, hein ? J’ai appris deux-trois mouvements de mon grand-père.
- T’es la petite-fille d’un saltimbanque ?
- Polyandre.

C’était le mauvais moment pour prendre une gorgée de vin. La table s’en retrouva arrosée.

- Calme-toi, je suis la quatrième fille d’une énième soeur. Avoir la Matriarche comme grand-mère ça sert à faire réagir les badaux comme toi.
- Et tu tiens plus du polyandre que de la Matriarche, non ?

Elle acquiesça sans honte.

- Il a sensibilisé ma mère à la beauté de l’art, un concept trop souvent oublié par notre ô pourtant si grande culture. Il a même une théorie.
- Arrête avec tes conneries, Sola. A descendre verbalement ce qui fait notre société, c’est pas une gifle qu’il va te coller, Daniss. C’est un poignard entre les côtes et à force de t’écouter, je suis convaincu que ce sera mérité.
- Cela n’a rien d’une hérésie que de chercher le progrès …
- Tu sortiras cet argumentaire à grand-maman quand tu passeras sur le billot.
- “Grand-maman” ? Pouffa-t-elle. Qui blasphème, maintenant ?
- Moins fort.

Le sourire congédiant qu’il esquissa ne s’effaça pas aussi habilement qu’il aurait cru. Sola avait l’air de bien s’amuser aussi. Il ne rapporta jamais ces propos à Daniss. Qu’aurait-il gagné d’autre qu’au mieux une baffe et au pire une condamnation ? C’était la première fois qu’il laissait passer des propos inconvenants venant de Sola. Par égoïsme et préservation évidemment, mais il marqua la première interaction de ce genre qui en engendrerait bien d’autres du même genre.

Après plusieurs années de voyages supplémentaires aux côtés de ses compagnons qui, de toute évidence, refusaient de mourir à l’office, Sola finit par lui faire part de la théorie de son aïeul. Les stryges gris, on en revient toujours à ça … son grand-père semblait idolâtrer leur image. Elle, elle était bien plus sceptique quant aux raisons qui feraient que l’on voudrait se rapprocher de cette image. Dans l’image du gris, elle comprenait autre chose, une métaphore qui voudrait réguler la pensée belliqueuse de leur culture en ouvrant une facette plus profonde de leur nature. Si elle admet ignorer ce qui pourrait bien se cacher par-delà leur idéologie, ou même si tel concept existe réellement, la plus jeune du trio, déjà alors âgée de 26 ans, semblait convaincue que l’art était sans doute le plus efficace vecteur pour y parvenir.

- L’art c’est bien large, Sola. Les exécutions de Daniss ne tarissent pas de splendeur et pourtant, je n’ai pas l’impression qu’il atteigne quelque forme de transcendance.
- Peut-être qu’il n’y réfléchit simplement pas assez. L’oeuvre sert le message, pas l’inverse. Pour Daniss, le message, c’est l’oeuvre.
- Tu trouves qu’il choisit mal ses exemples ?
- Il choisit là où ça fait mal, pas là où ça va durer. C’est bien drôle d’exécuter la personne qui a le plus de copains dans le hameau, mais avec ça, on ne créé qu’une douleur temporaire. Un impact limité. Il y a quelque chose qui doit manquer … mais quoi ?
- Un petit baiser sur la joue avant de trancher la gorge ?
- Si ça arrive un jour, j’aurai définitivement gagné notre pari, Samy.
- … “Samy” ?

Le pari. Il durait encore, après toutes ces années. Si bien que Sola avait compris qu’aucun paysage ne convaincrait son compère aux goûts si présomptueux. Peut-être n’était-elle pas la seule à chercher quelque chose de plus grand. Il lui fallait voir plus loin. Les premières exécutions publiques performées par la jeune stryge étaient encore toutes récentes, autorisées par Daniss avec comme seule motivation l’idée que ses deux “adjoints” continuent de se tenir à carreau. Elle était bien plus à l’aise qu’à ses débuts et plus encore, dans ces spectacles funestes, elle cherchait le “grandiose”. L’exécution parfaite, inoubliable.

C’est d’elle que Samaël apprit le luth et les accords les plus élémentaires. Une fois la base acquise, il commença à s’exercer de son côté. Pendant ces temps, il surprenait Sola qui griffonnait hâtivement des notes sur un gros carnet. Encore une de ses thèses grandiloquentes, sans doute. A force de discussions épanchées sur des sujets divers, Samy, qui s’était accoutumé à son surnom, finit par se convaincre lui-même qu’il avait un bagout plutôt riche. Chaque argumentaire finissait par une victoire (auto-proclamée), de celui-ci. Sola le ménageait en ne faisant que jouer la contradiction et lui laissait de bon coeur cette fierté.

L’once de narcissisme qu’il possédait déjà n’en finit que plus décuplée, trait de personnalité qui amusait grandement sa comparse. Et un beau jour, en l’an 810, Sola eut une idée. Utiliser les humains comme exemple, les elfes, les hybrides … tout ça n’avait aucun intérêt, c’était vu et revu. Il fallait viser plus haut. Plus beau. Plus symbolique.

- Un Purificateur ?

S’étonna Daniss, qui n’était pas habitué aux initiatives de la part de sa subordonnée officieuse. Inutile de décrire le sourire carnassier à ses lèvres lorsqu’il l’entendit, de toute sa vie il n’eut jamais autant apprécié la stryge insupportable qui lui servait de camarade. Ils battèrent la campagne à la recherche d’un purificateur assez jeune pour être une cible facile. Ce n’est qu’après plusieurs mois qu’ils trouvèrent l’objet de leur quête. Ils attendirent son sommeil pour le soumettre avec plus de facilité. Ils le traînèrent ensuite jusqu’au plus proche village et commencèrent la démonstration.

Ils ignoraient en vérité s’il s’agissait d’un purificateur, mais c’était une stryge blanche avec une faux, et c’était bien suffisant. Daniss commença le discours, crachant sur la faiblesse de la culture du dragon noir, exposant leur domination sur l’ennemi. Sa palabre fut coupée net par l’entaille d’un couteau qui creusa une saillie dans son abdomen. Les liens gisaient par terre, partiellement calcinées et la stryge capturée tenait dans son poignet la lame teintée de sang. Heureusement, Daniss était tenace, et, tenant fermement la main de sa captive dans son propre poignet, il eut le temps de violemment la taillader avec une violente bourrasque magique. Oeuvre qui trouva un arrêt lorsqu’un des humains se joignit à la lutte pour enfoncer un couteau dans la gorge du bon vieux Daniss.

Même si leur captive était blessée, elle demeurait une opposante certainement bien plus dangereuse que chacun d’entre eux. On ne parlait pas des stryges noirs les plus motivés par le combat de la Tour noire … mais quel choix y avait-il là ? Samy s’était précipité sur le villageois qui avait porté le coup fatal, le plaquant contre un mur plus loin et le plantant hâtivement d’une dague. Il entendit le vrombissement d’ailes se précipiter sur lui, mais ne se retourna que pour voir un nuage de plumes noires et blanches qui valsaient ensemble dans l’air. Sola avait interrompu la charge de l’autre stryge et toutes deux roulaient dans la fange.

Il fallait s’en aller, promptement, avant que les pégus ne ramènent les torches. Touché par la grâce, il vit sa comparse se relever et l’autre, demeurer à terre avec un manche qui dépassait de ses côtes. Se précipitant aux côtés de Sola, il la porta hâtivement sur son épaule.

- On part. Tout de suite !
- Une … seconde.

Samy l’ignora, trop occupé à se concentrer sur la foule qui commençait timidement, mais sûrement à les suivre. S’ils trouvaient le courage d’attaquer, c’était la fin. Et puis, Sola était surprenamment lourde, son bras semblait peser une tonne et elle n’avait pas l’air de faire le moindre effort pour se rendre plus légère. Peut-être que la lame dans son flanc y était pour quelque chose ? Samaël ne réalisa sa présence que bien trop tardivement. Il ouvrit la bouche, comme pour hurler et un son strident s’en dégagea, assez fort pour dissuader quiconque de s’approcher davantage. Ils profitèrent de cette fenêtre pour s’écarter dans les bois, il eut juste le temps de récupérer le sac de voyage de sa comparse qui était tombé dans la boue.

Plusieurs heures passèrent, le couteau demeurait figé dans la plaie. Samaël avait tenté de le retirer par trois fois, mais les hurlements de Sola le décourageaient à chaque nouvel essai. Ils étaient trop loin de la Tour noire et personne ne viendrait en aide à des gens de leur espèce. Pas ici.

- Je sais … Samy, je sais.
- J’ai rien dit, Sola.
- Non, mais … t’as un visage trop honnête quand tu t’affoles.

Il ne releva pas cette remarque, préférant prétendre ne rien avoir entendu. Son visage ne filtrait certainement pas les émotions tant que ça. Son regard, par contre, virevoltait tout autour, sautant d’une branche à l’autre et retombant parfois sur la blessure.

- C’est idiot. Je n’avais pas tout fini.
- Il y aura le temps, arrête de geindre une seconde et fais-moi confiance ! - il enleva sa cape noire.
- J’ai un … “cadeau”, dans mon sac.

D’un geste de dernier recours, il se décida d’arracher la lame en faisant fi de la douleur que ça causerait à Sola. Elle cria à en faire verdir les plus doués des sonomanciens, Samy dut bloquer sa bouche avec sa paume pour éviter qu’on l’entende. Pour la première fois en onze années, il vit les reflets abjects de larmes sur ses joues pâlissantes. Il fut gelé un instant par la stupeur, avant de se rappeler qu’il fallait recouvrir la plaie de son habit.

- Prends juste le putain de livre … merde.
- On s’en fout de tes gribouilles là, tout de suite !
- Tu peux arrêter d’être un insupportable enfoiré pédant, juste … une minute ?! Pitié, tu m’épuises.

Sans s’arrêter de la fixer, un air tendu sous ses yeux, il arracha la texture d’une couverture du sac et lui montra comme s’il s’agissait d’un torchon sale.

- Voilà. C’est pour toi, ça.
- Comment ça va nous aider ?
- J’ai pas dit que ça nous aiderait. Mais je vais bien me marrer … à t’observer le lire.

Un faible ricanement grinça d’entre ses dents tachées d’écarlate.

- Et ça la fait rire.
- C’était au cas où …

Il ne l’écoutait plus, affairé à chercher des bandages quelque part dans un de leurs sacs. Dès qu’il plongea la main dans le sac, il sentit la texture érodée de pansements qui avaient fait leur temps. Cela suffirait, avec trois bons tours. Il sentit la main de Sola encercler la sienne, posée sur les feuillages. Il tourna le visage, d’un sursaut. Ses yeux de lilas s’étaient clos. Elle s’était évanouie.

Inutile, désormais, de prétendre qu’elle pouvait être sauvée. Qu’est-ce qu’il avait cherché à faire au juste, lui donner de l’espoir ? Faire en sorte qu’elle voit qu’il avait essayé, peut-être pour se le pardonner plus facilement ? Bref, ce n’était pas encore fini, mais la mort suivait de près la traînée de sang. Elle allait s’éteindre en rêvant … veinarde. Il posa les bandages, ne serait-ce que par acquis de conscience, ou juste … pour sa conscience.

- Merci. Pour le cadeau.

Ce n’est que lorsqu’elle devint si blanche qu’elle en rayonnait que Samy s’autorisa à quitter les lieux direction le foyer. Impossible de porter son corps jusque là-bas. Après tout, l’endroit n’était pas trop mal, comme lieu de repos. Il la déposa dans la rivière, Avec un peu de chance, le courant la porterait jusqu’au lac Fresha. Lui … eh bien il devait presser le pas.

Le rapport de cette fois était bien plus dur à écrire. Les faits étaient aisés à étaler, c’était le mouvement de plume qui ne convenait pas. Quelqu’un avait dû mettre un embout trop souple, les mots ne s’alignaient pas correctement. “Le mot juste” l’avait quitté, cette fois.

Il ouvrit le livre deux mois après. Derrière la couverture, on lisait “Au cas où on réussit à se supporter, un de ces quatre”. Un texte en italique indiquait en sous-titre “on se souviendra que de nous deux, le chieur c’était toi”.

- Oh, je n’aurais jamais écrit comme ça, Sol.

Elle avait écrit d’entières mémoires de leurs voyages, avec une liberté narrative … intéressante. Tout y était raconté, avec absurdité, certes, mais il reviva pendant une longue soirée les récapitulatifs de leurs pérégrinations au travers des yeux de Sola, écrivant au travers des siens. Une parodie. Un gag. Son cadeau d’adieu était encore un trait d’humour. Le plus drôle, c’était peut-être le fait que le Samy décrit dans ces lignes avait l’air bien plus appréciable que le véritable Samaël.

Il passa au lac Fresha, au départ de sa prochaine pérégrination. Creusant un petit lopin de terre, il y enfouit une bouteille de claret. Sur l'étiquette enroulée autour, il avait écrit "Pour Sol, mauvaise gagnante". Sous son aisselle, le livre. Le soleil matinal révélait des reflets gravés dans la couverture. "Récits en terre banale, par votre Serviteur, Samy".

C’est un grand mot que desseins. La ferveur religieuse de Samy s’est trouvée quelque peu érodée par les conclusions auxquelles ont mené ses discussions avec Sola. Plus encore par sa mort. Il oscille moralement entre rester au service de la Tour ou partir explorer le monde à sa manière. Si bien qu’il a le fort sentiment que les missions du Cri sont devenus un prétexte pour échapper à l’influence de sa culture originelle.


Il désire par-dessus tout approfondir la pensée de Sola, cette idée de la transcendance par l’art. Pour cette raison, il cherche encore à perfectionner le luth et son chant, deux disciplines héritées de ses pérégrinations avec la défunte stryge. Il n’a partagé pour l’instant cet art avec exactement une personne : la même stryge décédée. Aucun public n’a pour le moment pu entendre ces performances, mais le meilleur est à venir.


Présentement, il arpente donc les pages de Récits en terre banale, à la recherche de ce grain qui rendait si spéciale la jeune Sola, déjà si certaine de ses idées à à peine 20 ans. Sur une note plus interdite, il envisage sérieusement de se plonger plus en profondeur dans les cultures étrangères, certes inférieures, mais tout indice peut aider à trouver l’épanouissement, si barbare soit-il. Il passe le plus clair de son temps à tenter de finir le livre, imitant la plume de Sola pour que quelque part, elle reste vivante. S’il y avait une stryge qui méritait l’immortalité, peut-être que c’était elle.