La neige…

Debout dans une des ruelles de Kastalinn, le nez levé vers le ciel chargé de gris, elle observe la chute élégante de ces gros flocons qui viennent parfois mourir sur ses joues rougies par le froid. Il y a un émerveillement dans le regard émeraude de la jeune Elfe, une fascination toute entière issue des rêves, de l’enfance et de l’innocence, un émerveillement qui la statufie au milieu du chemin. Un sourire timide étire ses lèvres, fait rare, un petit chef d’œuvre qui disparait aussi rapidement qu’il est apparu.

Un brusque mouvement du coude d’un passant et une invective en une langue qui lui est étrangère la ramènent à la réalité. Il fait froid, les gens marchent vite pour ne pas rester dehors et pour filer se réchauffer chez eux, à la taverne ou tout autre endroit joyeusement éclairé d’une bonne flambée. Et elle, pauvre idiote rêveuse, elle reste là, plantée comme un radis dans la neige déjà salie par d’innombrables passages, occupée à regarder tomber les flocons comme si c’était le plus beau spectacle du monde. Elle les a vu, ces sourcils levés d’incrédulité et de moquerie. Les gens d’ici ne se gênent guère pour faire savoir que vous êtes différent et elle l’a bien compris, même si elle ne parle pas le Nordien. Souvent, un regard en dit bien plus que de longues phrases, après tout.

Le froid se rappelle dans le même temps à son bon souvenir. Elle voulait juste prendre l’air, sortir un peu, tenter de s’approprier cet espace inconnu, un peu hostile à ses yeux…Demeurer cachée à jamais n’est définitivement pas une solution, elle en est bien consciente, alors elle est sortie, sans Fëanor. Il doit déjà sans doute s’inquiéter. Elle aurait peut-être dû lui dire où elle allait mais…elle ne sait pas où elle va, elle se contente de marcher, en évitant les passants, les regards, emmitouflée dans ses habits un peu trop légers pour la saison. Après tout, elle ne peut pas non plus demeurer éternellement derrière lui, même si c’est selon elle l’endroit le plus sûr du monde entier.

Arrivée sur la place du marché, elle remarque d’emblée le chapiteau et s’en approche souplement, comme une ombre, observant la structure de sous sa capuche déchirée ici et là. Une chaleur intense provenant de l’intérieur se répand à l’entrée, comme une invitation. De sous sa cape en piteux état elle tend le bout de ses doigts rouges vers la chaleur, occupée à regarder ici et là. Des Humains. Beaucoup d’Humains. Trop d’Humains. Les longs doigts graciles réintègrent le dessous de la cape tandis que l’Elfe avance un peu, évitant au maximum les contacts, les regards pour se diriger vers le côté gauche de la scène. Les meilleures places, les plus prisées, sont déjà occupées par d’opulents marchands, quelques riches dignitaires, peut-être des bourgeois…Depuis sa place, elle a une vue globale des spectateurs et ne voit que peu la scène, juste l’avant…mais ce n’est rien.

C’est une victoire pour Ellÿra. Elle est en un milieu presque fermé, en compagnie de dizaines d’humains et elle peut profiter de la chaleur ambiante qui l’engourdit peu à peu. Un petit soupir d’aise lui échappe alors qu’elle se pelotonne contre une planche de bois sec, même si cela ne vaudra jamais la chaleur que dégage Fëanor. Personne ne la regarde, personne ne semble prêter d’attention à elle, alors elle tend le cou pour mieux voir, elle essaye de deviner de quoi il s’agit…jusqu’à ce qu’une silhouette se dessine sur l’avant de la scène. Un jeune garçon…Des noms connus…Sa respiration est suspendue, tandis que ses grands yeux émeraude brillent.

-La Rose du désert et l’Ombre Envolée…, murmure-t-elle avec une certaine admiration.

Un petit rire clair, cristallin, se déploie alors qu’elle bat des mains, des mains qu’elle pose ensuite sur sa bouche, heureuse de la revoir…de les revoir. Et d’entendre de la musique. De la vraie musique ! Des percussions, des cordes, une voix de femme…une autre voix si grave qu’elle en devient un instrument à son tour…Sans comprendre pourquoi, des larmes de joie embuent ses yeux à la vue d’Eyara et de tous ceux qui lui sont chers. Ils sont tellement beaux, d’une poésie sans limite, en harmonie totale avec la musique qui se répand entre tous les spectateurs comme une nuée mystique.

Lorsqu’Eyara déploie ses ailes pour voler, Ellÿra ne la quitte pas des yeux, essuyant les larmes de joie qui roulent sans qu’elle ne s’en rende compte. Elle sent tellement privilégiée d’assister à cela, d’être au chaud et à l’abri, même pour quelques instants, et de pouvoir participer à ceci, un divertissement unique, magique, où la grâce dispute à l’élégance le moindre petit mouvement de la Rose du Désert. Que ne donnerait-elle, cette jeune Elfe sans le sou, pour pouvoir faire de même, voler au plus haut, ne faire qu’un avec d’autres dans le ciel…

Ce n’est que lorsque les applaudissements déchirent l’air que la jolie Elfe utilise un pan de sa cape pour essuyer son visage et applaudir à son tour, tout sourire. Finalement, elle a été bien inspirée de sortir, malgré le froid…