C’est dernier temps, la chasse était ce qu’il y avait de plus simple et de plus rentable. Les artisans de la région ne faisaient pas le poids face à la horde de chasseur rapportant sans cesse de nouvelle proie de leur tableau de chasse. Personnellement, je me contentais de rapporter mon gibier à la hutte des chasseurs. Je n’avais pas besoin de rouler sur l’or et je n’étais pas certain que je puisse vendre moi-même le gibier sur la place marchande de Kastalinn … pour des raisons qui me semblait évidentes.

En ce jour, je m’étais éloigné de ma zone de chasse habituelle, arpentant les plaines et les bois à la recherche d’empreintes fiables de sanglier. La pluie s’étant absenté depuis quelques temps de nos contrées, les empruntes se faisait plus discrètes et moins profondes sur le sol devenu dur. Trouver une piste isolée serait un véritable coup de chance, j’aurai plus de succès en cherchant une famille plutôt qu’un solitaire dans ces plaines jalonné de bosquet discret.

Alors que la marche que je m’étais imposée pour m’éloigner de ma zone de confort touchait bientôt à sa fin, je finis par apercevoir un petit étang caché derrière quelques arbres. Un petit havre de paix discret où la faune pouvait se sustenter sans craindre les prédateurs du coin. A pas de loup, je m’approchais du bord de l’eau et pris une goulée avant de me cacher dans les arbres.

Il y a deux style de chasseur. Le premier est celui qui traque sa cible n’importe où jusqu’à tomber dessus, chose que je faisais lorsque la motivation était présente. Et il y a ceux qui préfèrent tendre un piège à leur proie et patienter pour récolter le gibier. Aujourd’hui, je n’avais ni l’envi, ni la force de chercher des empruntes et de traquer la proie. Les chances de réussite restaient maigres comparées aux guets-apens que je pouvais tendre aisément. De par ma vitesse et mon habileté, je ne me voyais aucunement rentrer bredouille en usant de cette méthode. Perché dans mon arbre, une pipe en bois avec quelques plantes aphrodisiaques en son centre, je n’avais plus qu’à fumer dans les branchages et attendre patiemment mon heure …

Une bonne heure s’était écoulé avant que je ne perçoive les premiers signes d’une proie s’apprêtant à tomber dans mon piège. En fait, la motivation m’avait tellement fait défaut, que j’avais simplement saisi mes dagues pour me jeter sur ma proie et le lui planter entre les yeux, chose que je fis lorsque le groin du sanglier s’approcha fébrilement de l’eau. Ni vu ni connu, la bête s’écroula sans comprendre ce qui lui était arrivé, relâchant son dernier souffle. Et oui, parfois être chasseur, c’est aussi ça ! Être nonchalant et téméraire. Tant que la récompense était à la clé, toutes les méthodes étaient bonnes à prendre !

Une épaisse nappe grisâtre s’était abattue sur les terres du Nord, faisant disparaître les somptueuses plaines d’Àran et ses bosquets mystérieux. Un brouillard à couper au couteau empêchait quiconque osait s’aventurer sur les plaines d’aller plus loin. Pire encore, les voyageurs bravant tout de même cette barrière impénétrable se retrouvaient perdus jusqu’à la levé de celui-ci. Avec une faune habitué à ce genre de perturbation, les rôles de proie et de prédateur se retrouvaient naturellement inversés. Un laps de temps durant lequel les chasseurs les plus chevronnés partaient en chasse récupérer, comme à l’ordinaire, leur proie quotidienne. Quel intérêt aurait un chasseur de braver ces danger pour un morceau de viande perdu dans le brouillard ? Son goût n’en changera pas pour autant, son prix de revente non plus. Alors pourquoi ? Pour le commun des mortels, les gens diront qu’il le font simplement pour flatter leur égos, parce que la partie de chasse est plus ardue et qu’il est plus satisfaisant, selon ces derniers, de savourer une proie traquer dans ce brouillard. Mais la vérité est tout autre, ne vous y trompez pas … car il existe une très vieille légende dans les plaines d’Àran …

Il y a maintenant plus de cinq cent ans que cette légende vient hanter l’esprit des chasseurs les plus doués, les chasseurs d’élites de tout le continent, mais également tout les explorateurs en quête de fantastique. Cette légende retrace les faits d’un chasseur habitant les terres d’Àran. Ce chasseur, nommé Kaldrix, vivait de son métier, tout ce qu’il y a de plus banal à ceci près, qu’il était le meilleur chasseur de gibier de la région. Qu’importe la difficulté, qu’importe l’hostilité de l’environnement ou du climat, qu’importe la taille de sa proie, jamais il n’avait failli … Ce brouillard que nous redoutons tous aujourd’hui, ce dernier le bravait le sourire aux lèvres, car il se savait suffisamment compétent pour rapporter sa proie du jour malgré ces nuages bas. Kaldrix s’en était donc allé à la chasse, son coutelât, son arc, son carquois et ses flèches pour seuls défense. Une besace et une corde pour ramener son du. Les autres chasseurs qui le regardaient partir lui demandait ce qu’il allait bien pouvoir ramener aujourd’hui. D’autres, plus téméraires, prirent l’initiative de faire comme Kaldrix et de s’aventurer dans le brouillard. Mais un seul revenait toujours en vie, les autres étaient soit portés disparus, soit retrouvés morts de différentes manières dans la région.

Pourtant, ce jour-ci dans le brouillard fut un peu plus particulier que les autres. Alors qu’il traquait dans le brouillard épais, il assura s’être arrêté de stupeur devant un cerf majestueux, un cerf millénaire comme il aimait à le rappeler. Il prétendit que ce dernier était apparus alors qu’il suivait les empreintes d’un sanglier et que lorsque le cerf géant se retira, le brouillard se dissipa presque aussitôt autour de lui, faisait disparaître la mystérieuse créature et faisant apparaître, de part la zone visible plus étendu, plusieurs animaux inanimés. Il avait beau avoir ramené du sanglier, de l’aigle, du crocodile, du rhinos et de la wyvern, il assura qu’il n’avait jamais rien chassé de tel dans son passage dans ce brouillard, qu’il s’agissait d’une divinité venu le récompenser sans raison. Il faut avouer que cette histoire, plutôt mirobolante, n’avait ni queue ni tête. Suite à ses récits à son retour, Kaldrix ne revit plus jamais cette divinité, mais il continua à chasser, espérant pouvoir retrouver cette créature légendaire qu’il avait vue ce jour là. On dit à ce jour que ce Kaldrix était devenu fou à cause du brouillard, que ce dernier s’était immiscé dans son esprit, c’est en tout cas ce que les gens ordinaires se disent. Les chasseurs, quant à eux, continuent de faire perdurer cette légende entre eux.

Aujourd’hui, pas de chasse au beau milieu de la brume. Je n’avais ni le temps, ni l’envi de me fatiguer à chasser à travers ce brouillard épais. Certes, j’ai besoin de faire un peu d’exercice, je me suis légèrement laissé aller ces derniers temps, mais je n’avais aucunement perdu mon mordant. Il était d’ailleurs temps pour moi d’éclaircir certains mystères concernant ce que m’avait légué Baël. Jusqu’à maintenant, je ne m’étais pas encore réellement penché sur le sujet, par manque de temps, trop préoccupé à faire de l’argent pour notre progression vers le Nord. Je n’avais guère le choix, je ne pouvais faire le difficile et la gamine travaillait tout autant que moi. Je n’avais donc pas vraiment le choix, je n’allais tout de même pas la laisser faire tout le travail à a place. Mes partis de chasse se démultipliaient en ce moment, je pouvais donc très bien en profiter pour tester mon agilité et cette matière noire qui résidait dorénavant en moi.

La forêt était bien silencieuse cette nuit, très peu d’animaux se risquaient à sortir de leur cachette lorsque le soleil se couchait, mais il arrivait parfois que certains aient l’audace de se montrer à la lumière de la lune pour s’abreuver rapidement ou pour entamer une balade nocturne. C’est à ces animaux téméraires que je m’en prenais en particulier, tout d’abord car j’avais l’habitude de travailler dans l’ombre, ensuite parce que ce mystérieux pouvoir issu de la matière noire s’en trouvait renforcé ou du moins, était plus efficace. Finalement, cela me permettait de manipuler les ténèbres elle-même et les ombres qui en découlent. Malheureusement pour le moment, je ne parvenais qu’à ouvrir un petit portail obscur dans lequel je pouvais glisser n’importe quoi avant de l’en faire ressortir par un autre portail, mais en moins bon état. Tout ce qui entrait de ce portail en ressortait broyé par une force obscure : le néant. Là ou il n’y a rien, ni lumière, ni haut, ni bas, ni air, ni rien d’autre, un immense trou noir qui absorbe et avale tout, sans rien laisser derrière lui. Il était temps de faire évoluer tout ceci et d’agrandir ce trou. Mais avant cela, il me fallait trouver un cobaye …

Mes armes dans le dos, les mains dans les poches, je continuais ma promenade au beau milieu de la forêt et de la nuit en quête d’empreintes fraîches. Le sol était jalonné de traces en tout genre datant de la journée, mais ceux datant de la nuit sont plus profonde et plus effaçable, je n’avais donc qu’à passer ma main à tatons sur le sol et à me fier à mon instinct de chasseur. Je pouvais par exemple deviner que non loin de là, se terraient quelques lapins dans leur tanière au vu du nombre de petites cr… ??!! Passons. Avec ceci, des empreintes assez profondes correspondant à celle d’un sanglier dans la fleur de l’âge. Un adulte donc, non accompagné de ses enfants, ce qui faisait une cible parfaite. La traque pouvait commencer !

Pour avoir visité les lieux à plusieurs reprises, je pouvais me repérer grâce aux divers repaires de la forêt. Le sanglier en question n’avait pas l’air pressé et se dirigeait vers le point d’eau un peu plus loin, zigzaguant par moment entre les buissons pour y manger les baies qui se trouvaient sur son passage. Ces empreintes étaient assez larges signe qu’il ralentissait encore, mais cette fois-ci par prudence. A mesure que ses empreintes se resserrent, le sanglier accélère, mais il est important de deviner quand est-ce qu’il se sent en danger. La première réaction de la proie dans ces conditions, c’est de ralentir le pas petit à petit, jusqu’à s’arrêter entièrement pour rester aux aguets et attendre si le bruit et les odeurs peuvent les alerter. Si tel est le cas, celui-ci prendra la fuite le plus vite possible et donc, reprendra sa course dans un rythme effréné. Ce moment d’alerte semblait plutôt proche car les quatre empreintes se rapprochaient. En jaugeant à la vitesse de décélération, je décidais de m’abriter derrière un buisson lorsque le bruit de l’eau finit par parvenir à mes oreilles. Le bruit de cette dernière camouflerait légèrement mes actions, mais cela devrait suffire pour finir le travail rapidement.

L’innocent était en train de s’abreuver comme prévus le long du ruisseau, sa queue se balançant joyeusement de gauche à droite et vice-versa. Il ne se doutait pas le moins du monde qu’un prédateur se trouvait juste à côté de lui, l’observant discrètement. Je tendis la main vers le sanglier, désignant le sol en-dessous de ce dernier des cinq doigts, avant de faire tourner ma main droite brièvement dans un mouvement circulaire. De ma position, je pouvais voir le trou noir qui se trouvait juste en-dessous de la pauvre bête, malheureusement, le trou n’était pas assez grand pour faire rentrer l’animal dedans. Je ne connaissais pas encore les particularités de ce pouvoir, ni comment l’utiliser, un peu comme si l’on demandait à un Géant de tenir la trésorerie et de gérer les transactions. Je ne savais où focaliser mon attention, si tant est qu’il s’agisse d’un manque de concentration, en un point ou d’une manière générale. Je restais ainsi pendant de longues minutes sans parvenir à mes fins, contemplant le la pauvre bête continuer à s’abreuver sereinement sans se rendre compte du danger à ses pieds.

Mais comme tout, ma patience avait des limites et il vint un moment où le sang me monta à la tête. Je perdais patience et je risquais de faire fuir la bête à m’énerver inutilement. Pourtant, c’est justement lorsque je commençais à m’énerver que le portail s’agrandit. Pas encore suffisant pour absorber le sanglier, mais suffisant pour que je comprenne comment ce pouvoir fonctionnait. En y réfléchissant, cela me paraissait évident en fin de compte. Si de nature Baël était un démon, alors ce qui le motivait était la haine, la haine d’un démon. Une hypothèse me vint à l’esprit un court instant avant que je ne la chasse d’un geste de la main devant mon visage. Ce n’était pas le moment de penser à ce genre de chose, j’avais mieux à faire. Maintenant que j’avais deviné la nature de cette source de pouvoir, je n’avais plus qu’à réitérer l’expérience avec les bonnes sources de motivation. Les idées les plus sombres me revinrent à l’esprit, assombrissant mon regard pourtant clair. Et d’un geste circulaire du poignet, je fis réapparaître un nouveau portail, bien plus grand cette fois-ci. Le sanglier, d’abord surpris par cette masse sombre qui s’était rependu jusqu’au ruisseau où il buvait tranquillement, la peur vint le faire paniquer lorsqu’il comprit qu’il ne pouvait plus s’échapper, l’aspirant inévitablement vers les profondeurs du portail, comme si quelque chose le tirait vers le bas.

L’agoni du Sanglier avait retenti dans toute la forêt avant s’estomper promptement, les oiseaux et chasseurs nocturnes aux alentours qui avaient assistés ou entendu ce sinistre appel à l’aide s’en allèrent tout aussi rapidement sans demander leur reste. De nouveau, je rouvris le portail près de moi et, sans avoir à forcer, celui-ci s’ouvrit en grand comme le précédant sans que je n’ai recourt à mon sombre passé, laissant s’échapper ce qui avait été happé par les ténèbres. De l’eau croupie, des herbes mortes, de la terre séchée et le sanglier … mort également. Je décidais de l’inspecter, cherchant à comprendre ce qui venait de se passer. Le portail que j’avais ouvert un peu plutôt avait littéralement dévoré tout ce qui s’était trouvé dans son périmètre, laissant un arrondie surnaturel à la rive du ruisseau. De même que le sol qui s’y trouvait s’était retrouvé sans herbe et avec ce même sol séché, comme s’il avait été longuement exposé au soleil. Tout ce qui pénétrait dans ce portail finissait par vieillir et mourir inévitablement, c’est du moins la conclusion que j’en avais tiré. Pourtant, le sanglier était simplement mort, il n’’avait pas subi de dégradation corporelle. Son corps était intact, mais son esprit était parti. Si je suivais la logique, il aurait même du pourrir et laisser derrière lui que de la poussière d’os. Alors comment ? Je décidais de reprendre l’expérience sur quelque chose de plus petit qu’un sanglier pour étudier la différence.

De nouveau dans les bois sombres et silencieux entourant les plaines d’Àran, je m’en retournais à mon dur labeur. La chasse n’attendait pas et j’aimais la pratiquer la nuit, une vieille habitude datant déjà d’il y a quatre ans, dans cette même région. Même si beaucoup de temps avait passé depuis, je me demandais tout de même ce qui lui était arrivé. Etait-elle toujours … morte ?  Ou bien s’était-elle évaporée à la lumière du soleil ? Toujours est-il que c’est dans les rues de Kastalinn, quelques temps après avoir quitté la tour noire, que j’avais trouvé refuge dans mes balades nocturnes, faisant la connaissance de Rania. Les êtres de la nuit, comme elle, ont la particularité de parfaitement sentir leur entourage actuel, une qualité de perception qui se travail à force de vivre dans l’ombre. Le bruit et le brouhaha de la ville n’étaient pas aussi vifs lorsque le soleil se couchait, il y régnait un silence obscur et angoissant, comme dans ses bois de sapins sombres isolés en contre bas de la vallée dans lesquels je me promenais.

Le moindre son était perceptible à la condition d’y prêter l’oreille. L’on pouvait reconnaître toutes sortes de créatures et d’animaux rien qu’avec le son qu’ils produisent. Cela faisait un moment que je suivrais les traces d’un jeune sanglier sortit s’hydrater. Je ne comptais pas, cette fois-ci, me servir de mes pouvoirs étranges dont j’avais encore un peu de mal à en comprendre les limites d’utilisation et préférais m’exercer à la dague de jet. Agilité et précision seront les chefs d’orchestre de cette partie de chasse plein de rebondissement ! Pourvu que le spectacle soit satisfaisant !

Dés lors où je m’étais mis en tête d’éliminer mes proies par la force de mes lames, j’en oubliais machinalement les méthodes de chasse traditionnelle et fonçais tête baissé dans l’inconnu. Les empreintes fraîches du sanglier m’indiquèrent que le vagabond n’était plus très loin et e semblait pas en alerte. L’insouciant ! Une ombre menaçante survolait les bois, volant de branche en branche comme un charognard attendant patiemment son heure de gloire. La proie dans mon champ de vision, assis sur une solide branche de cerisier, je décochais une première salve d’immobilisation, les dagues se plantant en haut de ses pattes supérieures. Il était déjà trop tard lorsqu’il comprit qu’il ne pourrait plus relever sa truffe du sol. La douleur étant bien trop intense et la surprise totale, c’est la terreur et l’effroi qui s’emparèrent à leur tour de l’esprit du jeune sanglier, me regardant sortir des ténèbres avec l’arme de sa mort.

Il n’y avait rien de plus appréciable qu’un silence de mort. Le prédateur se savait gagnant et la proie perdante. Il n’y avait plus aucune résistance, plus aucun crie de pitié. Le sanglier avait accepté son sort. Je m’approchais lentement de celui-ci, posant un genou à terre, et le remerciais avant de compresser d’un coup la troisième lame dans son crâne. Ainsi, il n’aurait pas eu à souffrir beaucoup. Je pouvais le remercier car … grâce à lui … j’allais pouvoir poursuivre ma chasse nocturne sans éveiller de soupçons.

Une nouvelle partie de chasse s'apprêtais à débuter. A peine le soleil couché, les rayons rosés du soleil teintant les nuages d’une couleur fraise, je m’étais lancé à travers les plaine d’Àran pour remplir mes bourses convenablement, ainsi que par curiosité pour me servir de mes nouveaux pouvoirs. Les ombres se faisaient plus nombreuses, plus envieuses de répandre l’obscurité tout autour d’elles, n’attendant que ma venue pour jouer avec elles. Je me sentais comme un poisson dans l’eau, au beau milieu des ténèbres grandissantes, un marre dans laquelle je barbotais paisiblement. Tranquillement, je me dirigeais vers mon point repère favoris de ces derniers temps, le long de la rivière bordant la frontière de la forêt de l’Est. C’est dans ce coin reculé, à mi chemin entre les plaines et la forêt, que l’on pouvait chasser abondement, sans avoir sur le dos la Garde Zéphyr, protecteur de la faune. Certes, cela me faisait faire une sacré balade pour peu d’or, mais pour être tout à fait honnête, ce butin que je récoltais à la sueur de mon front et au plaisir de mon âme, je ne le faisais pas tout les jours. Il y a un temps pour tout. Il fallait bien que je rentre de temps en temps pour flemmarder devant la gamine. Dur labeur que le sien d’ailleurs, servir dans un restaurant, grrr.

La forêt paraissait encore bien agitée, certains volatiles piaillaient encore, chantant par moment la douce mélancolie de fin de journée. Je pouvais y respirer l’odeur de la vie et bientôt celle de la mort. Je n’eus pas même besoin de pister au sol les empreintes d’un quelconque individu, les poils d’un jeune sanglier s’étaient agrippés au houx qui poussait par là. A son pied, les empreintes de ma future victime, se dirigeant paisiblement vers le Sud- Ouest de la forêt. Ainsi débuta ma première balade dans les bois de la journée, traquant le sanglier en étant aucunement armé. Enfin … seulement en apparence.

Au bout d’une petite heure de marche, je pu enfin localiser ma première proie du jour, parti rejoindre ses proches près de la rive du ruisseau. J’avais eu l’occasion, tout du long de ma promenade, de relever davantage d’empreintes se joignant à ma cible principale ou plutôt, c’est ce dernier qui avait rejoint le reste du troupeau. Ce dernier s’était certainement éloigné de ces compères et malheureusement pour lui, il aura ramené un loup dans la bergerie. Les innocents s’abreuvaient et se nettoyaient paisiblement … jusqu’à ce que je fasse mon entrée en scène. D’un mouvement circulaire du poignet, je fis apparaître un portail à ma droite dans lequel je plongeais ma main et y extirpais une large faux d’un noir envoutant, faculté nouvelle ajoutée récemment à mon répertoire. C’est fou ce qu’on pouvait faire avec de la matière noire. D’un battement d’aile, je fendis l’air et me faufilais avec dextérité au milieu du troupeau, laissant quelques plumes ténébreuses virevolter sous l’élan de ma lancée. Et, à l’aide de ma faux bien aimée, je découpais l’entièreté du troupeau d’une attaque circulaire, terminant ainsi ma valse mortuaire. Les cinq victimes s’étalèrent un à un sur le sol maintenant recouvert d’une teinte écarlate.

Garràn – Que la chasse commence !

Une fois de plus, c’est en chasse que je m’en allais aujourd’hui à travers les plaines d’Àran, armé de mes dagues de jet. Ma faux étant bien rangée dans un trou noir prévu à cet effet, je n’avais pas à me soucier de la gêne liée à l’encombrement. S’en était presque devenu un rituel hebdomadaire. La seule différence aujourd’hui, c’est que je n’y allais pas de nuit. J’avais eu l’occasion de m’exercer à la magie démoniaque de nuit, mais jamais je n’avais eu l’occasion de m’en servir de jour, celle-ci étant bien moins efficace à la lumière du jour. Il me fallait en connaître les limites et les faiblesses pour atteindre la maîtrise parfaite de l’Umbrakinésie. Et puis, je n’avais pas eu l’occasion de m’exercer au soleil depuis quelques temps, ce qui me permettrait de faire une pause dans la journée pour la seconde moitié de mon petit périple animalier.

Réveillé avant l’aube, je m’étais éclipsé discrètement du logis temporaire où nous nous vivions, m’équipant du strict nécessaire pour le voyage : mes armes ainsi qu’une roulotte à manche suffisamment grande pour y trimballer les dépouilles de mes futures proies. Bien que le métier de Bûcheron ne me soit pas vraiment familier, ni même celui de menuisier, je n’étais pas parti les mains vide de mon ancien chez moi. Entreposé à Lédéhi durant tout ce temps et contenu de la situation actuelle m’obligeant à rester dans les plaines d’Àran, j’avais pris l’initiative de l’embarquer lors de mon dernier passage à la forteresse maudite en prenant soin de l’envelopper de matière noire avant de la laisser reposer dans un trou noir. La gamine m’avait surpris à ressortir la roulotte du trou noir à mon retour, me renommant le coursier de l’ombre lorsque j’avais fini de lui expliquer l’étendu de mes pouvoirs. L’insouciance de ce marmot ne cessait de me surprendre.

Après quelques heures de marches vers l’Ouest, me dirigeant, comme à mon habitude, vers le petit coin d’effervescence de la région question trophée de chasse, j’arrivais à l’entré du bois entourant la rivière faisant la jonction entre les plaines d’Àran, la forêt de Sylfaën et les plaines désertique entourant l’Harena. Ce petit coin paisible où l’on pouvait trouver un tas de bestiole à dépecer et à revendre, bref, de quoi s’en faire plein les fouilles. Le soleil était encore loin d’être à son zénith, mais les bois semblaient déjà bien animés en cette mâtiné. Un groupe d’oiseau chanteur se mit à chantonner à mon passage sous leur branche de repos, accompagné du sifflement du vent à travers le feuillage des arbres. Les rongeurs et autres petits mammifères s’étaient donnés le mot pour sortir de leurs cachettes et vadrouiller dans la nature, d’innombrables odeurs s’entremêlaient ici et là, donnant vie à ce petit coin de nature. Les parterres, garnit de fleurs hautes en couleurs, semblaient épargnés de toute dégradation étrangère, comme si les animaux y faisaient attention naturellement.

Garràn – Y a pas à dire, je préfère mille fois le désert à ce coin de mange-salade … Soupirais-je d’ennui, les lieux animés n’étant pas ce que je préférais. Et dire que la journée ne fait que commencer …

Cela faisait maintenant plusieurs dizaine de minutes que je suivais la piste d’une petite famille de sanglier, suivant facilement leurs empreintes au sol. Entre les touffes de poils perdus et les déjections de sanglier, il y avait de quoi être certain de ce qui m’attendait au bout de ces traces pattes. A la vue des petites boulettes traînant dans l’herbe, je me pinçais le nez et évitais de marcher sur l’une d’entre elle, maudissant ces immondes créatures. Une odeur infecte que je n’espérais plus ressentir de si tôt. Pourtant, quelques buissons plus loin, alors que je traversais en toute furtivité la zone tout en évitant de marcher dans la … je me retrouvais nez-à-nez avec leur propriétaire, continuant à déverser leur saloperie dans la nature … Légèrement éreinté par tant de précaution de ma part pour de vulgaire bête à poil court, je fis appel à ma chaîne tranchante et alignais la tête des trois spécimens le long du chemin.

Garràn – Saloperie de Sanglier … je me sens humilier … décrottant mes bottes dans la rivière longeant le chemin. Ils leur auront fallut qu’une seule seconde d’inattention pour m’empoisonner …

Après deux jours de chasse plutôt correcte, j’arrivais enfin à ma destination finale, passant le palier de la taverne. Je m’approchai du comptoir et pris place sur le premier siège venu avant de commander la même boisson que d’habitude : une bière Kastalinoise fraiche. Le maître chasseur à côté de qui je m’étais assis me dévisagea un instant d’un regard circonspect avant de me demander ce qu’il m’était arrivé. En effet, il désigna les multiples blessures au visage, aux mains et le coquard naissant à l’œil droit d’un air presque hilare. D’abord, je l’ignorai tout bonnement, préférant vider silencieusement ma pinte avant de lui compter mes mésaventures. Les deux jours avaient été incroyablement difficiles et éreintant malgré l’habitude de chasser et la routine que s’en était presque devenu. Mais pas cette fois-ci visiblement.

Garràn – Je pense que je peux m’estimer d’être revenu en un seul morceau cette fois-ci …

Maître chasseur – Mais ou as-tu bien pu te fourrer pour te retrouver dans cet état ? Tu t’es fait piétiner par une horde de rhinocéros ou quoi ?

Garràn – Si tu savais …

Ainsi, je débutai mon récit, prenant le soin d’éviter les détails ombrageux de ma magie de l’ombre. Tout avait commencé il y a de ça quelques jours, lorsque, pour la énième fois, je décidai de partir en chasse pour renflouer mes bourses. Avec le temps, je m’étais créé une petite routine plutôt sympathique, démarrant dans les plaines d’Àran, jalonnant les bois entourant la vallée jusqu’à la rive bordant la frontière de la forêt de Sylfaën avant de redescendre jusqu’à l’entrée des marais et repartir par le nord de la savane. En tout et pour tout, cela me prenait quelques jours de marches aller et retour et une journée entière de chasse. J’avais même fini par mémoriser quelques repères pour savoir où est-ce que je pouvais camper et ou je devrais faire attention. Généralement, je prenais de l’avance et m’installais au bord de la forêt bordant les plaines, me laissant une journée de répit avant de partir en chasse, cela me faisait ainsi un point d’accroche en pleine nature, un petit campement improvisé dans lequel je pouvais préparer mes butins de chasse et les évider correctement. Le reste du parcours se faisait assez rapidement en soit, le campement étant à un peu moins d’une demi journée de chaque zone, la chasse y était plutôt facile dans la région, cela évitait de parcourir toutes les régions pour obtenir les trophées de chasse. Bref, c’est dans ce campement proche de ma zone de chasse habituelle que je me rendis en premier lieu.

Le campement en question se trouvait en hauteur, caché dans le feuillage abondant d’un vieux frêne maître des lieux. Petite cabane dans laquelle je flânais la plupart du temps et d’où je pendais mes trophées et les préparais sur une table à cet effet. Il y avait ce qu’il fallait en support sur place, le reste de l’outillage, coutelas et couteau de boucher, était ramené par mes soins. Dans cette modeste demeure que je finis par m’endormir le premier jour, fatigué du trajet depuis la cité du Nord. Jusqu’à là, tout allait bien. Et puis, à un moment dans la nuit, la lune surplombait alors la forêt et ses quelques rayons blancs parvenaient à m’atteindre malgré le feuillage, de multiples couinement vinrent briser le silence de la nuit. D’abord hésitant, je finis par saisir mon arc ainsi qu’une flèche pour faire fuir la bestiole d’un coup de semonce. Que nenni ! La flèche décochée, la bestiole grogna d’une manière plus sinistre que les petits couinements précédant et sembla se raisonner de tout côté. J’en saisis une seconde pour faire fuir une bonne fois pour toute les malheureux qui avaient osés me réveiller en pleine nuit et décochai une nouvelle flèche. C’est là que tout bascula …

Alors que j’avais espéré faire fuir mes assaillants, ces derniers l’interprétèrent autrement. Mécontent d’avoir été menacé ouvertement, le premier Sanglier avait appelé plusieurs de ses copains et ils s’étaient mis à me chercher, jusqu’à mon deuxième coup de semonce. Dés lors où repérèrent ma cachette, et donc la provenance de la flèche, ils se mirent à charger simultanément l’arbre dans lequel je reposais tranquillement. L’arbre était secoué dans tout les sens, j’étais tout simplement bringuebalé au quatre coins de la cabane, me cognant un peu partout et m’accrochant comme je le pouvais pour ne pas tomber de l’arbre. Si j’avais eu le malheur de descendre de celui-ci, je ne donnais pas cher de ma peau !

Je n’avais plus le choix, si je voulais poursuivre ma nuit, il me fallait réduire au silence ces misérables. Entre deux secousses, je parvins à m’équiper dans un premier temps de mon carquois et de ses flèches puis, de mon arc. Discrètement, je m’étais éclipsé par la fenêtre et étais monté sur le toit avant de bondir quelques arbres plus loin. Redescendant dans le branchage bas de l’arbre voisin, je bandai mon arc et visai les perturbateurs simultanément, touchant coup sur coup les trouble-fêtes. Trois sangliers adultes ! Et de sacré spécimen ! Les autres avaient finis par prendre la fuite en voyant les plus costauds tomber au combat, laissant la dépouille de leur compagnon derrière eux. J’en avais profité pour les remonter et les pendre tout du long de la nuit, déjà bien entamée, avant de finir le travail dans la mâtiné avant de partir en chasse. Déjà le premier jour n’avait pas été de tout repos !