Ma couvée a éclos sous une lampe halogène, loin de la lumière ou chaleur bienfaisante de l'astre solaire ou de l'humidité des marais où s'est éveillée mon espèce. Faisant au mieux avec peu voire pas de ressources, mes ainés ont fait au mieux pour répondre à nos besoins, eux-mêmes survivant plus que vivant. Et pour cause. Deux générations plus tôt, guidés par un hiérophante sans doute charismatique mais psychologiquement instable qui entraîna dans sa folie nombre de colons trop crédules pour leur propre bien, toute castes confondues. Affirmant avoir reconnu dans le sillage d'une comète la langue fourchue de la divinité théorique qui aurait, il y a plusieurs ages, engendré notre espèce, il fut l'instigateur d'un exode frénétique à la poursuite de l'astre. Barges spatiales de fret, navettes de transports, chasseurs de combats... tout ce qui pouvait voler dans le vide stellaire était jugé adéquat pour migration suicidaire. Deux générations plus tard, ayant perdu la trace de ladite comète, les descendants de ces pèlerins naïfs résident dans la seconde barrière d'astéroïde de ce système solaire, inconnue de la plupart des natifs des planètes plus proches du centre - ou qui les croient à tort vide de vie, toute juste bonne à creuser pour quelques minerais. Mais c'est bien ici, dans des conditions de vie épouvantable, que je fus contraint de grandir par la stupidité d'autres. Inutile de mentionner que bien peu de mes frères et sœurs de couvée atteignirent l'âge adulte tant la précarité et les maladies hantaient les vaisseaux décrépits dérivant au milieu des astéroïdes.


Il n'est pas surprenant que dans un environnement aussi misérable, je fus atteint d'un mal que le gourou du moment ne put ni nommer ni traiter. Mes mues devinrent de plus en plus laborieuses tandis que mes écailles se décrochaient à la moindre friction. Mon souffle était ténu et mes muscles ne se développaient pas. Perdu dans ce trou spatial, loin de tout et poids pour la communauté, j'étais condamné à mourir tôt. Toutefois, mon intellect se révéla largement compenser mes défauts physiques. Il les surclassait.


Les nagas ont évolués depuis des reptiles carnivores. Des prédateurs. Depuis deux générations les colons survivaient en consommant la viande de bétail cloné en boucle ensuite soumis à des enchantements de croissance accélérée. Il serait ne pas faire honneur aux mages de jadis que réfuter leurs talents et la richesse de leurs gênes, transmis jusqu'à moi. Ou du moins ma génération car je ne suis pas et ne serais jamais mage. Toutefois, il manquait une qualité cruciale à ces mages, comme à tout les colons à sang-froid de la ceinture extérieure. L'imagination. L'esprit d'initiative. La faculté de penser en dehors des sentiers battus.


Je suis le seul à avoir songé à créer un clone de moi-même et lui faire atteindre l'adolescence en quelques jours, qu'il soit suffisamment grand physiquement pour me fournir une quantité de sang suffisante à des transfusions régulières. Un clone, puis une poignée. Des coquilles vides, dénuées d'intellect car âgées d'une journée, apprenant encore à respirer comme je leur vampirisais leur précieux élixir de vie, prolongeant mon existence au détriment de la leur, échos décérébrés de ma propre personne. Certes, je dus le réaliser en cachette, les clercs du serpent céleste qui aurait désapprouvé mes méthodes restant influents. Leurs méthodes elles m'auraient laissé mourir avant la vingtaine. Toutefois. Une vie de parasite suçant le sang n'était pas une vie à laquelle j'aspirais, quand bien même je ne brûlais pas au soleil - ironie alors que je vivais dans l'ombre et dans les ténèbres de notre univers. Pour cela, il n'y avait qu'une solution : me guérir de cette affliction.

Les années passèrent. Je devins étudiant en médecine à la misérable école du bout de l'univers, buvant les connaissances emportées depuis Duralas I et n'ayant absolument plus évolué ensuite. D'étudiant je devins médecin. Croisant les savoirs et expérimentant pour la première fois depuis deux générations, perfectionnant nos connaissances génétiques, je pus enfin diagnostiquer ce dont je souffrais. Ironie, cela n'avait finalement rien à voir avec les conditions dans lesquelles j'avais vu la vie. C'était une forme inconnue de dégradation cellulaire, maladie génétique née du brassage aléatoire et destinant mes muscles et organes à s'atrophier jusqu'à ce que mort s'ensuive. Une maladie totalement incurable, que ce soit par la médecine, la cybernétique ou la magie. Alors même que mes transfusions de doubles clonés m'apportaient progressivement moins de bienfaits.

Venu de si loin après avoir tant œuvré, il n'était toutefois pas question que je finisse ma vie ainsi dans une poubelle spatiale. Œuvrant jour et nuit sur ma maladie, étudiant mon propre adn et remaniant ses brins, je fini par isoler mes gênes fautif. Gênes que je m'empressais de corriger sur des échantillons. Puis, après quelques mois, je naquis à nouveau. Tout aussi intelligent. Tout aussi déterminé. Mais bien plus jeune. Bien plus parfait. J'ai engendré un clone sain que je n'ai pas soumis aux sorts de croissance. Un clone que j'ai soigneusement élevé. Que j'ai préservé de la stupidité de mes confrères. Auquel j'ai transmis tout ce que j'avais le temps d'offrir - et à qui j'ai laissé l'intégralité de mes connaissances et recherches en héritage.

C'était il y a quatre-vingts ans. Aujourd'hui, je suis mort depuis très longtemps. Tout comme je suis mort à de très, très nombreuses reprises pour pouvoir vivre. J'ai été exilé de la ceinture extérieure d'astéroïde lorsque l'on découvrit les recherches et expériences que j'avais mené, jugées amorales et hérétiques par les représentant du culte du serpent. Qu'importe. Je n'ai jamais eu besoin ni de leur aide ni de leur permission. Ils pourrissent toujours dans les ténèbres glacées. Moi je profite de la chaleur de l'astre lumineux depuis la station solaire de recherche Hukutavienne, parmi ceux dont jamais mes ancêtres n'auraient dû se détourner. Je suis un généticien, micro-biologiste, chirurgien et philosophe, connu et reconnu sur toutes les planètes du système solaire. Mes travaux font avancer la science. Ils prolongent la vie. Ils font reculer les maladies et le spectre de la mort. Je suis la preuve incarnée qu'elle n'est pas une limite.

Tout comme mes petits frères le sont également, d'ailleurs.

En effet, après ma première mort, je me suis retrouvé seul pour la toute première fois de mon existence. Une situation que j'ai dû vivre dans ma première vie, mais dont je ne supporterais pas de revivre l'expérience. C'est pourquoi j'ai sans hésiter un instant rampé dans mes propres traces. Nous sommes désormais cinq. Et nul ne peut rivaliser avec le potentiel cognitif dont nous sommes dotés. Aujourd'hui, les richesses de tous les mondes nous tendent les bras.