L'argent. L'un des problèmes qui horripilait le plus l'Abyssal quand il était sur la Terre Ferme. Il y avait bien entendu le froid, ou le sable - ô combien de temps il avait passé à enlever du sable de ses branchies - voire même la difficulté bien plus importante pour trouver de quoi subsister... Mais l'argent... Lokyem comprenait bien entendu les mécanismes qui faisaient de cela une denrée essentielle à la survie de la société... Mais s'il fallait se priver de la société pour se priver d'argent, si le choix lui appartenait, il aurait été très vite accompli.

En tout cas, avec sa bourse remplie de quelques écus à peine, il n'allait pas faire long feu. C'est ainsi qu'il décida de s'arrêter un peu pour travailler - une petite pause pour aller plus loin, diraient certains. Des métiers qui s'offraient à lui, bien peu le satisfaisaient. Le mercenariat demandait bien trop de contact sociaux ainsi que des talents militaires poussés, qui plus est.
Escorter un convoi ou ce genre de daubes n'était clairement pas pour l'Abyssal. Suivre une route dont il n'avait pas orchestré les moindres détails, c'était bien plus que ce qu'il pouvait se permettre.
Les pêcheurs avaient toujours besoin d'aide, aussi. Réparer des filets, évider des poissons... Il était passé maître en la matière de chacun de ces gestes routiniers qui avait été la moelle de son quotidien pendant des siècles. Mais quitte à être près de la côte, pourquoi se priver de rejoindre son paradis solitaire ?

Et puis au détour d'un chemin, il avait croisé un homme peinant à porter une large quantité de bois pour la vendre. Après quelques phrases échangées - le strict minimum, avant que Lokyem ne se lasse ou se fâche, l'Abyssal avait appris tout ce qu'il désirait. Où vendre, quels étaient les bois à prendre...

Il allait donc s'improviser Bûcheron ? On dirait.

De crainte d'abîmer sa pauvre épée déjà trop négligée, il acheta une petite hache de bûcheron dans Endorial. Totalement inutile en combat au vu de son ergonomie et de sa résistance, elle était néanmoins d'assez bonne facture pour lui permettre de faire son office, au moins pour cette fois-ci.

Restait à savoir quel arbre abattre. Suivant un conseil qu'on lui avait donné, il partit dans les bois pour ramener du sureau. Il connaissait bien cet arbre. Ses baies lui avaient longtemps servi comme dessert alors qu'il apprenait les arcanes du combat avec Aris. Ce dernier lui demandait d'ailleurs assez souvent de lui en ramener pour qu'il en récupère de l'encre pour ses divers écrits. Alors dès qu'un sureau se présenta à lui, il fut capable de l'identifier au premier coup d'œil.

Il regarda rapidement par quel endroit attaquer le tronc et...

Tchong.

Sans trop d'effort, la hache se planta dans le bois. Lokyem mit un peu de temps à l'enlever et recommença, dépensant plus d'énergie à ressortir sa hache plutôt qu'à la planter. C'est assez laborieusement qu'il finit par entendre le tronc geindre de son propre poids et vaciller. Un dernier coup de hache, un bon coup de pied et l'arbre s'écroula.

L'élagage du tronc fut très rapide. Les branches toutes frêles du sureau se séparaient sans le moindre mal du reste et bientôt, tout le bas du tronc (la seule partie robuste et donc intéressante de l'arbre) fut nu. À peine l'abyssal commençait à le couper pour le diviser en plus petits tronçons transportables et exploitables qu'il se rendit compte qu'il aurait dû amener une scie.

Mais finalement l'effort n'était pas aussi insupportable que ce qu'il avait imaginé. Certes, ses muscles criaient pitié chaque fois, il relevait son outil. Certes, son dos gémissait lamentablement. Certes, ses doigts allaient se plaindre de vilaines cloques pendant toutes une semaine... Mais malgré tout, Lokyem se sentait bien. Il se sentait l'âme d'un guerrier bravant le froid hivernal à coups de hache dans du bois, ou bien d'autres bêtises de ce genre.

Et à la fin de la journée, il avait une belle collection de bûches. Il les regarda longuement avec la satisfaction du travail accomplit, avec de blêmir quand il pensa au transport.

Sa relation avec l'argent n'était pas prête à s'améliorer.

Sargas

Lokyem

Ragaillardit par l'argent gagnée la dernière fois, c'est assez vite que Lokyem retourna dans le bosquet pour aller couper du bois. La tâche était finalement assez aisée pour les subventions qu'elle permettait d'obtenir et l'abyssal en avait grand besoin pour améliorer son équipement. Il était certes très axé sur la classique mais efficace combinaison de l'armure légère avec une épée, mais il aurait été injuste de sa part de nier à quel point une meilleure lame pourrait lui faciliter la vie dans ses combats futurs.

C'est donc avec une certaine conviction quelque peu teintée d'entrain qu'il se mit en quête d'un nouvel arbre à qui faire un sort. L'inerte victime fut trouvée après une petite dizaine de minutes à errer dans le bois. Lokyem s'en rapprocha, la hache déjà au poing, au bout de son bras ballant. L'abyssal se décida à trouver une autre stratégie d'attaque, l'expérience de la semaine dernière avait prouvé que cette dernière était parfaitement perfectible. S'il voulait à long terme faire du bucheronnage pour obtenir une rémunération stable et importante, il se devait d'être plus efficace.

Aussi voulut-il débuter par élaguer le tronc de toutes ses branches parasites avant de s'attaquer à l'abattage brutal du pauvre sureaux. A peine eut-il commencé la tâche qu'il la trouva plus aisé : les branches s'enlevaient aussi facilement que la dernière fois, mais il était debout et n'avait qu'à donner un coup de hache sec vertical le long du tronc qu'elles se séparent de ce dernier, alors que trouver un angle d'attaque aussi parfait quand le tronc était déjà à terre était bien plus difficile.

Cette journée fut donc placée sous le signe de l'effi-ca-ci-té. Lokyem s'accorda juste un instant de pose pour regarder avec une certaine satisfaction le tronc nu qu'il allait abattre, puis s'exécuta.

Il s'étonnait lui même de voir à quel point des gestes qu'il n'avait fait qu'une petite dizaine de fois commençaient déjà à devenir routiniers. Une fois les bois récupérés, cela n'empêcha pas néanmoins d'être courbaturé de partout. Ses ampoules de la semaine dernière étaient à peine guéries que de nouvelles venaient déjà pointer le bout de leur nez. Mais dans l'ensemble, il se sentait largement mieux que la dernière fois. Son corps commençait-il à s'habituer à l'effort ou bien était-ce ses méthodes qui maltraitent un peu moins ce dernier ?

Il verra bien comment se passera la prochaine fois.