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      Assis sur une souche probablement là depuis bien un mois, Thorek pensait à l’ombre du feuillage d’un pin fleurant bon la résine.

      Son index tapotait à répétition l’ordre de mission qu’il relisait encore et encore pour s’assurer qu’il était bien au bon endroit. Le nain leva son regard, observa les montagnes alentours, compara le tout avec une des cartes et acquiesça pour la troisième fois. Oui, l’endroit était le bon, il n’y avait aucun doute possible sur la question. Nord-ouest des Baldors, vallée de la hache pour les nains, le « coin dans l’fond là-bas » d’après les géants – une véritable dénomination reconnue par plusieurs tribus du Mont Tagne.

      Le papier froissé s’abaissa, le regard du vieux nain se perdit encore dans le vague. S’il était au bon endroit, au nom de quelle bulette la recrue n’y était pas ?

      L’explorateur jeta un coup d’œil alentour, tendit l’oreille, non toujours rien… Est-ce que l’impérator l’avait tourné en bourrique ? Non, pas son genre. Et pourtant, quand il avait lu l’intitulé de la mission, Thorek avait eu des doutes : Analyse structurelle d’une fortification abandonnée pour rénovation et test d’une nouvelle recrue. Le tout avait été accompagné d’un dossier de deux petites pages pourtant bien remplies. Dans un soupir, le nain se demanda bien pourquoi est-ce qu’il lui incombait de s’occuper d’une tâche pareille… Peut-être que l’impérator le testait aussi ?

      Allumant sa pipe en bois, Thorek se dit qu’il n’en était pas à quelques heures près, alors autant attendre que la recrue… Il regarda le papier en plissant les yeux… Doemino pointe le bout de son nez. Et puis, un peu de temps pour se préparer aussi. Vu le dossier, la rencontre s’annonçait mouvementée.

Trottant aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient, Doemino dévalait le chemin de terre.

Sa toute première mission officielle lui avait été affectée ! Tout excitée, elle n'avait pu trouver le sommeil avant une heure très avancée la veille. Le résultat ? Elle avait raté le chant du coq et galopait à présent pour limiter la casse. N'ayant pas le temps de petit-déjeuner, elle avait quitté le relais militaire le plus proche en trombe, les yeux encore collés par le sommeil et une tartine mal beurrée dans les dents. En retard à sa première occasion de briller, un comble !

Luttant contre un point de côté dans sa cavalcade, le but de la mission lui ayant été confié restait obscur. Et particulièrement excitant. Elle devait inspecter un tas de ruines avec le reste d'une patrouille. S'y trouvait-il des skarniens terrés ? Des kobolds embusqués ? Des gobelins égarés ? Un géant à ratatiner ? Qu'importe. Une fois arrivée, elle montrerait aux autres soldats de quel bois elle se chauffait. Ayant pris soin de mémoriser le trajet une bonne partie de la soirée, le nez collé à un vélin de très bonne qualité, elle ne doutait à aucun moment du trajet emprunté.

A aucun moment elle ne s'était étonnée de ne pas croiser d'autres membres de l’expédition au relais. Et, lorsqu'elle déboula à l'angle de la dernière intersection avant l'objectif, elle avisa immédiatement un premier nain assis au bord du chemin. Toute fatigue envolée, elle se précipita en avant.

- Patrouilleuse Kazharienne Doemino ! s'écria-t-elle en claquant de ses pieds nus, la main à hauteur de la tempe en signe de salut. Au rapport !

Puis elle cligna des yeux, réalisant qu'un unique nain l'attendait.

Stupéfaite, elle abaissa lentement le poing, le dévisageant en s'épongeant le front. Tranquillement installé et pipe aux lèvres, s'agissait-il d'un kazharien laissé en arrière pour l'attendre avant de rejoindre le reste du groupe ? Vraisemblablement.

- J'suis désolée j'suis en retard j'ai manqué l'départ j'suis désolée, articula-t-elle à toute allure en s'inclinant en avant plusieurs fois en signe de pardon.

Puis sans attendre elle se redressa, son médaillon rebondissant sur la poitrine, et reprit :

- Les autres y' sont déjà dans les ruines ? Si on attend y' vont rien nous laisser ! Faut' qu'on s'dépêche !


Note de l'auteur : de toute évidence, ce rp se déroule chronologiquement avant que Doemino n'ai accès à sa classe.

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      La furie qui apparut au détour de la route pour se planter devant Thorek fit se lever un sourcil sur son visage de quelques degrés de trop. La nouvelle était aussi énergique qu’elle n’était pas bien grande, à croire que sa taille avait concentré son énergie pour la démultiplier.

      Quelques clignements d’yeux plus tard et le nain se dit qu’il serait de bon ton de se pré…

      « J'suis désolée j'suis en retard j'ai manqué l'départ j'suis désolée.
      — Je… heum, hésita le nain décontenancé par un tel flot de parole.
      — Les autres y' sont déjà dans les ruines ? Si on attend y' vont rien nous laisser ! Faut' qu'on s'dépêche ! »

      L’air d’autant plus perdu et sa pipe s’éteignant à vue d’œil dans sa paluche, Thorek eu un léger soupir avant de reprendre :

      « Du calme, du calme… J’suppose que t’es Doemino. Comme quoi, le dossier avait brossé ton portrait d’manière admirable. »

      D’un geste simple, l’explorateur éteignit son tabac et rangea ses quelques affaires rapidement avant de descendre de sa souche. Alors qu’il remettait son dos en place, il reprit :

      « Thorek Sveresson du clan Drogund, cartographe kazharien et membre de la Brigade Éclaireuse Kazharienne. »

      Le vieux nain accompagna le tout d’un coup solennel du poing sur son torse qui le fit tousser un reste de fumée de pipe.

      « Y’a qu’nous deux aujourd’hui, ordre de l’Impérator y paraît. Mais au vu de ta motivation, on va tailler le bout d’gras sur la route des fortifications ! Allez ! »

      Et sur cette exclamation bougonne, Thorek commença à descendre le chemin vers la vallée en contrebas, espérant sincèrement que la nouvelle recrue le suive... Krut, il n’avait aucune idée de comment il allait gérer tout ça.

- Un dossier ? répéta-t-elle comme il sautait de son siège improvisé après avoir éteins sa pipe. Quel dossier ?

Néanmoins lui refaisant face, il n'eut pas l'air de l'avoir entendu, se présentant à son tour avec un salut militaire. Béate en entendant la longueur de son nom accolé de ses titres, Doemino s'efforça de rester impassible lorsqu'il toussa un peu de fumée. Rire du comique de cette anecdote aurait probablement été mal perçu en plus de son retard et...

- Y’a qu’nous deux aujourd’hui, lui indiqua paisiblement Thorek. Ordre de l’Impérator y paraît. Mais au vu de ta motivation, on va tailler le bout d’gras sur la route des fortifications ! Allez !
- Que nous deux ? répéta-t-elle en le regardant s'engager sur la route. Comment ça que nous deux ?

Elle resta quelques instant immobile à le regarder tranquillement descendre le sentier. Elle s'attendait à une escouade de vérétans khazariens en arme pour cette mission. Comme elle en avait souvent vu défiler lors des parades à Baldorheim ou de passage à son village natal. Pas à un simple kazhar barbus et fumeur, assez éloigné des canons de l'alliance des montagnes.

Cependant... peut-être s'agissait-il d'un officier dont le statut justifiait qu'il soit seul et pas en uniforme ? Ou alors il s'agissait d'un test pour évaluer sa valeur ?

Secouant la tête, la patrouilleuse chassa toutes ces questions de son esprit. On lui avait confié une mission : inspecter et s'assurer de la sécurité d'une ancienne fortification. Ce n'était pas le moment de révasser.

Trottant pour ratrapper Thorek, pieds nus sur le sentier de caillous, elle lorgna rapidement autours d'elle, s'efforçant de se repérer. Elle connaissait globalement la géographie des lieux, des cartes des baldors passant régulièrement à l'atelier de sa mère calligraphe, mais les détails en revanche restaient flous...

- Brigadier, interrogea-t-elle en marchant à grands pas pour suivre sa cadence, elles se trouvent loin ces ruines que l'on va inspecter ? On peut les voir d'ici ?

Prenant une impulsion soudaine, elle fit un petit bond histoire de gagner une pomme de hauteur et apercevoir au-delà d'un buisson sur le côté, des fois que la structure en question s'y trouve. En contrebas, la vallée s'offrait à eux, mais elle ne discernait pas leur objectif et...

Minute.

Un détail lui revint brusquement de l'introduction du nain. Tout sourire et pétillante de curiosité, elle se tourna vers lui et l'interrogea de plus belle :

- Vous avez bien dit être cartographe ? Vos cartes, c'est du vélin ou du papier chanvre ? Vous les achetez toutes faite à Baldorheim ?

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      Le petit sentier rocailleux se descendait relativement bien d’après Thorek. Ce qui signifiait surtout une pente assez légère pour ne pas trop entrechoquer ses vertèbres usées. Il aurait bien fait sans la multitude de buissons en revanche. Un signe que les lieux avaient été abandonnées depuis un bon moment d’ailleurs. Et puis, il trouvait amusant de voir autant de basal…

      « Brigadier, demanda Doemino, elles se trouvent loin ces ruines que l'on va inspecter ? On peut les voir d'ici ? »

      Presque surpris d’être interrompu dans ses pensées, Thorek se rappela qu’il n’était pas seul aujourd’hui. Définitivement un état de fait dont il avait rarement l’habitude. Dans un léger soupir qu’il espérait discret, il se tourna vers la recrue pour l’apercevoir en train de sautiller pour mieux observer les alentours.

      « Heum… Encore un peu plus loin, une petite rivière à passer et c’est derrière l’affleurement là-bas, indiqua-t-il aussi du doigt. C’est sur le flanc de la vallée. On devrait voir ce qui servait de muraille sous peu, même si le gros du truc avait été creusé dans la montagne d’après les rapports. Avec d’la chance, le tout tiendra encore assez debout pour servir d’poste d’observation frontalier. »

             Le nain observa un instant Doemino et souleva un sourcil.

      « Dis, c’normal que tu n’aies pas de chausses ? La route est assez rocailleuse… » – se résignant de lui-même, l’explorateur leva une paluche peu de temps après – « Bah, t’as réussi à venir jusqu’ici donc ça marche pour toi. Mais fait gaffe aux silex. »

      Et au nain de reprendre sa marche, cette fois-ci en s’appuyant sur sa pioche de temps à autre. Son paquetage bien rempli et un sentier de caillasses peu touchées depuis des dizaines d’années ne faisaient pas bon ménage. Alors autant être prudent. Il en profita même pour dégager du chemin un ou deux rochers à l’air trop aiguisé d’un coup sec de manche.
     
      « Vous avez bien dit être cartographe ? Vos cartes, c'est du vélin ou du papier chanvre ? Vous les achetez toutes faite à Baldorheim ? »

      Thorek douta de réussir à s’habituer au flot de parole de la recrue un de ces jours. Mais quand son esprit réussit à comprendre les questions, il se tourna à demi vers Doemino d’un air curieux. Cela impliquait des sourcils froncés, oui, encore.

      « Oui, parchemin de chèvre principalement et j’achète là où je peux, répondit laconiquement le nain avant de pointer temporairement le manche de sa pioche vers Doemino. Par contre, y’a pas grand monde qui sait ce qu’est un vélin. Tu travaillais dans un atelier ou quelqu’chose du genre ? »

- Dis, c’normal que tu n’aies pas de chausses ? La route est assez rocailleuse… l'interrogea le nain en remarquant leur absence, mais néanmoins il leva une main épaisse pour devancer sa réponse. Bah, t’as réussi à venir jusqu’ici donc ça marche pour toi. Mais fait gaffe aux silex.
- J'en ai pas b'soin ! répondit néanmoins la nouvelle recrue. On a l'cuir épais dans la famille : ma m'man c'est une halfeline.

Joignant le geste à la parole, la métisse exécuta quelques pas exagérément longs tout en continuant de descendre la pente. A chacun d'entre eux elle leva les pieds devant elle, faisant bouger ses petits orteils.

Puis oui, j'fais tout le temps attention où je marche et, pieds nus, aucune chance de glisser ! ajouta-t-elle naïvement.

Remarquant qu'il avait pris quelques pas d'avance tandis qu'elle vantait sa différence physique, elle remarqua que le nain prenait appui sur sa pioche comme sur une canne. Puis, alors même qu'elle se faisait cette réflexion en se demandant son âge, il écarta quelques cailloux du chemin de la halfeline derrière lui.

Ce n'est qu'alors qu'elle réalisa que, non-content de les orienter et tenir la direction, l'évaluer et suivre la discussion, il veillait discrètement sur elle. Il avait un comportement bienveillant à son égard. Quelqu'un de gentil donc. Un premier copain au sein de la faction ?

Non, pas copain. Ni équipiers d'ailleurs. Collègue ou frère d'armes. Entre soldats on est pas copains. Se sont les enfants qui le sont.

D'ailleurs, s'il se comportait ainsi, était-ce parce qu'il la considérait comme une gamine ? Qu'elle avait déjà échoué à son test et qu'il ne la jugeait pas apte ?

Elle secoua la tête pour chasser ces idées sombres. Ce n'était que des inepties et son évaluation ne faisait que commencer.

Ils suivaient tranquillement le sentier qui réalisait un coude et révélait le cours d'eau prédit par le cartographe. Plongée dans ses propres doutes et réflexions, Doemino ne remarqua par les rouages semblant s'activer sous les sourcils broussailleux de Thorek, précédant sa réponse à propos du type de papier utilisé.

- Oui, parchemin de chèvre principalement et j’achète là où je peux.

Puis, comme son regard sautait du cours d'eau à son interlocuteur, elle se retrouva nez à nez avec un manche de pioche, louchant pour étudier celle-ci.

- Par contre, y’a pas grand monde qui sait ce qu’est un vélin. Tu travaillais dans un atelier ou quelqu’chose du genre ?

Inclinant la tête pour s'adresser au nain plutôt qu'à sa canne-pioche-baguette(-arme ?), elle esquissa un sourire radieux, ravie de vanter ses expériences d'adolescente :

- J'donne des coup d'mains à m'man au village. Elle est calligraphe. Parfois aussi j'recopie des textes et des enluminures avec elle. Donc oui, j'connais un peu les papiers. J'ai même fait un saut à l'institut des enchanteurs loin loin loin à l'Ouest. Y' ont tout le temps besoin d'papier là-bas !

Arrivant enfin au bord de l'eau, Doemino se fit la réflexion qu'elle parlait beaucoup. Voire racontait sa vie. Cela faisait déjà deux allusions à sa petite maman ce qui risquait de la faire passer pour nunuche et bassiner son interlocuteur...

- Et vous sa fait combien de temps qu'vous vous êtes enrôlés chez les Kazhariens ? s'intéressa-t-elle pour éviter de davantage raconter sa vie. C'était quoi vos motivations ? Vot' première mission c'était aussi une reconnaissance ?

Sans attendre, elle sauta lestement sur un premier galet humide, puis un second. Le cours d'eau n'était pas profond, elle n'aurait eu de l'eau que jusqu'à mi-cuisse malgré ses trois pommes de haut. Néanmoins, elle ne souhaitait pas tremper son pantalon. Ni révéler la magie givrée de son pendentif. Aussi sauta-t-elle de pierres en pierres, jusqu'à manquer glisser sur le dernier. Elle agita les bras en panique, l'autre jambe levée et dans un équilibre précaire. Mais parvint à retrouver une position stable sans se ridiculiser. Souriant nerveusement, elle espéra arriver à faire croire qu'elle jouait la comédie.

- Et hop ! s'empressa-t-elle quand même de terminer la traversée pour finir sur l'autre rive.

Levant les yeux, elle observa un instant l'escarpement désigné plus tôt par Thorek, supposé dissimuler leur objectif. Mais elle n'en percevait rien. Ou bien elle avait la berlue ou bien ils avaient encore du chemin à faire. Après, il avait mentionné que l'édifice était en partie souterrain, cela pouvait jouer. Aussi revint-elle au nain et sa traversée du cours d'eau, ainsi que sa réponse.

- Doucement recrue, je n’ai plus mes jambes d’antan !

Fronçant les sourcils, Doemino se mordit la langue et se retint de commenter cette déclaration. Assurément Thorek n'était pas tout jeune comparé à elle, mais il ne paraissait pas si vieux que ça. Et au vu de la facilité avec laquelle il traversait le court d'eau en se moquant du débit, si ses jambes avaient perdu de leur force, il eut dû être terrible à l'époque...

- ...ça a fini en Kulgur, marqua-t-il une pause en se secouant une fois sur l'autre rive.

Et, avant que Doemino n'ait le temps de l'interroger sur ce mot tarabiscornu, il ajouta :

- C’est du ragoût d’troll. Un plat d’mon ancienne forteresse. Plutôt goûtu quand on est patient.
- Du ragoût d'troll ? répéta-t-elle en ouvrant béatement la bouche. Cela s'mange le troll ? Mais ça doit avoir un goût horrible !

Avant de répondre néanmoins, il planta son outil dans le sol. Deux fois. Puis sembla étudier des cailloux ramassé. Comme Doemino approchait, levant curieusement le nez pour savoir ce qu'il trouvait d'intéressant à ce qu'il avait ramassé, le nain l'interrogea :

- Voyons voir si tu observes aussi bien que tu gambades ! D'après toi, où mettrais-tu une fortin dans le coin ?
- Que quoi ? répondit-elle aussitôt, surprise.

Puis ses deux neurones entrèrent en action lorsqu'elle réalisa qu'il s'agissait d'un test. Il s'agissait là d'une occasion pour elle de briller et justifier sa place.

Plissant les yeux, Doemino se frotta le menton d'une petite main. Elle regarda le cours d'eau descendant. La pente creusée par celui-ci. Le sentier par lequel ils arrivaient et qui remontait le flanc opposé, se perdant dans les arbres d'un côté comme de l'autre. Elle faillit répondre qu'elle construirait son fort dans un arbre, invisible du sol. Mais quelqu'instincts lui murmura qu'il ne s'agissait pas vraiment d'une réponse pertinente...

- Je... mettrais un fort en amont, finit-elle par répondre après un long moment de réflexion. D'façon à avoir une bonne vue sur la vallée et ses sentiers. Près de l'un d'eux d'ailleurs, pour pas faire trop d'chemin pour l'approvisionnement. Et pas trop près d'l'eau, des fois qu'ça déborde au printemps. Quelque pars par là par-exemple, proposa-t-elle en accord avec son raisonnement en désignant d'un petit index un  promontoire de leur côté, à moitié caché par de grands arbres.

S'estimant avoir apporté une réponse pertinente et justifiée à défaut d'être juste, elle se retourna vers Thorek, interrogatrice.

- Et vous vous l'mettriez où ?

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      Tout en faisant jouer dans sa paluche gauche ce qu’il avait ramassé un instant plus tôt, Thorek écouta la proposition de Doemino. Il acquiesça même à quelques reprises. Puis, suivant du regard l’endroit pointé par la demi-halfeline, il s’apprêtait à sortir une carte de son paquetage quand la recrue lui posa une nouvelle question :

       « Et vous vous l'mettriez où ?
      — Oh oh ! Grande question ça… La stratégie militaire n’est pas forcément ma choppe de bière. Hmm, dans l’fond j’aurais suivi les mêmes idées que toi, loin d’l’eau pour éviter l’humidité lorsqu’on creuse, une vue potable. Mais à l’écart des chemins, faudrait pas que le tout-venant puisse y accéder. Et ça dépendrais beaucoup de la qualité du sol, de la pierre, l’assise des fondations… »

      Thorek jeta sans y penser un regard à Doemino durant son monologue et s’arrêta doucement.

       « Hmrpf, oui, des détails, peut-être trop de détails. En tout cas… »

       Se grattant l’arrière du crâne avec une moue, le nain avança sa main gauche vers Doemino et l’ouvrit, révélant une demi-fourchette rouillée plantée dans ce qui ressemblait à un os de volaille entamée.

      « … La rivière confirme bien ton idée. Il suffit de gratter le sol pour trouver des restes. Et on est loin d’une route passante. Ce qui implique deux choses : la rivière passait d’une manière ou d’une autre dans la forteresse et ils n’étaient pas bien futés pour montrer ainsi où ils se trouvaient. »

      Laissant l’objet rejoindre le lit de la rivière, le nain activa ses épaules et reprit la marche en sortant une carte vierge qu’il s’empressa d’annoter. D’un geste de la tête, il indiqua à Doemino de prendre la tête de la marche.

      « J’ai besoin qu’tu regardes à ma place ! Il suffit de suivre la rivière, après la colline boisée on devrait apercevoir les remparts. »

      Plongé dans son travail cartographique, le nain essaya de se remémorer la description qu’on lui avait fait de la forteresse. Deux murs en pierres à angles droits gardant une tour à moitié encastrée dans le flanc de vallée. Et le symbole d’un clan nain sur ladite tour… Il ne se souvenait plus vraiment duquel d’ailleurs, loup ou peryton ? Bah, sans importance. De toute façon, avec plus d’un siècle d’abandon, l’endroit ne devait plus ressembler à grand-chose.

- ... Mais à l’écart des chemins, faudrait pas que le tout-venant puisse y accéder. Et...

Doemino fronça les sourcils à cette affirmation. L'intérêt d'un poste-avancé n'était pas de pouvoir effectuer facilement et rapidement des patrouilles et relèves de garde ? Si y accéder était une corvée, pas étonnant que le fort précédent ai été abandonné. Elle s'apprêtait à en faire la remarque, mais s'abstint au dernier moment, bouche ouverte. Après tout, il était un Kazharien confirmé. Il savait forcément mieux qu'elle. Juste qu'elle n'avait pas encore le recul nécessaire pour tout comprendre.

Curieuse, la demi-gnome se pencha pour lorgner ce que Thorek avait ramassé. Un morceau de couvert grignoté par la rouille. Celui qui l'avait jeté là mangeait probablement avec les doigts depuis ce jour.

- ...deux choses : la rivière passait d’une manière ou d’une autre dans la forteresse et ils n’étaient pas bien futés pour...
- Donc y se faisaient inonder ? en conclut-elle à voix haute. Mais comment ?

Se retournant, elle désigna les rives de galets de ses deux petites mains sans voir que Thorek ne l'écoutait pas, tirant un document de son barda :

- Le lit d'la rivière est bien délimité ! Même un pitiponk le verrait ! Y faudrait être bête comme ses pieds pour construire une tour juste au bord !
- J’ai besoin qu’tu regardes à ma place ! lui répondit le nain derrière elle. Il suffit de suivre...

Tournant les talons, elle trotta pour le rattraper. Les yeux plissés en sondant le sous-bois des deux côtés du cours d'eau, elle s'appliqua à la tâche, traquant le moindre bout de muret. Ce faisant plus d'une fois elle manqua glisser dans une flaque, ne regardant plus où elle mettait les pieds.

Après moins d'une dizaine de minutes, au détour d'un virage décris par le torrent, elle repéra - ou supposa avoir repéré - ce qu'ils cherchaient. Toute fière, elle poussa un "Haha !" de triomphe en le pointant du doigt.

Les rives de galets laissaient place à de la roche plus dense que l'érosion avait grignotée au cours du temps, commençant à réaliser un couloir naturel. C'est à l'entrée de celui-ci que se trouvait un édifice bâti à flanc de la falaise. Si l'on aurait pu appeler falaise un versant de deux mètres tout au plus. Un muret de galets plus ou moins visible dessinait un rectangle d'enceinte devant l'entrée de l'édifice lui en pierres taillées et ajustées. Entre des meurtrières du premier étage, pile au-dessus de l'entrée, était gravée une tête animale. Au-dessus se trouvaient quelques étages de plus, faisant que la tour se hissait à hauteur des arbres surplombant l'endroit. La-dite entrée dont la porte avait disparut se trouvait effectivement à quelques mètres seulement de l'eau courante.

- C'est un chien ? se demanda-t-elle à voix haute en étudiant le symbole, une fois sous celui-ci.

Mis à part la mousse et le lierre ayant recouverts une bonne moitié de l'édifice ou un tronc tombé, toujours appuyé en diagonale sur des briques qu'il avait désolidarisé, la ruine paraissait plutôt bien conservée à ses yeux.

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      « Non, un loup », répondit lentement Thorek en barrant une annotation sur sa carte. Du moins, ça l’était fut un temps. »

      La carte termina ensuite dans le paquetage du nain qui s’avança pour observer les lieux en passant sa paluche dans sa barbe. A priori pas de lumières venant des meurtrières, mais difficile à dire en plein jour. Et ils ne s’étaient pas encore fait tirer dessus, donc pas d’occupants armés.

      « Bon, qu’avons-nous là ? La tour a l’air de tenir… Mais ça sera en second temps, d’abord la muraille. »

      D’un pas décidé, Thorek arpenta le bout de muret en galet et, tout en enlevant des morceaux de lierres, tapota sèchement de la hampe de sa pioche sur l’édifice. Au vu de ses moues successives, le résultat semblait peu probant et…

      Le nain s’arrêta dans son mouvement et se retourna vers la jeune recrue non loin.

       « Heum, merci d’avoir ouvert la marche. »

     L’air visiblement penaud, Thorek réfléchit quelques instants avant de pointer de la pioche le sol relativement humide et la mousse omniprésente.

      « Mon expertise des lieux va prendre un petit temps et… J’ai appris avec les années que ça n’intéressait pas forcément tout l’monde. » – Thorek baissa la voix et grommela pour lui-même – « De tout’façon ils n’y comprenaient rien »

      Laissant passer une énième grimace, Le nain reprit calmement :

      « M’enfin, y’a peut-être moyen que t’apprennes un truc. Le sol ici... » – il tapa du pied pour appuyer son propos – « Est fichtrement plein de flotte. Sans surprise, je sais. Mais c’est pour ça qu’un mur de galet qui tombe au premier troll venu est la seule véritable option. Tu veux un vrai mur solide ? Va falloir creuser plusieurs mètres de terres et de roche humide. Pour un coin aussi perdu, c’pas très pratique et trop cher. »

      Puis, le nain indiqua l’arbre tombé :

      « Et là, tu peux être sûr qu’on doit refaire tout le mortier en dessous, l’impact a dû salement l’amocher. Même si j’suis surpris que ça ait tenu le choc. Faudra couper quelques arbres autour en tout cas, éviter que ça se reproduise. »

      Se grattant la tête en énumérant une petite liste d’ingrédients à ajouter à un mortier pour obtenir la bonne consistance, le nain finit par pousser l’idée au loin d’un geste de la main. Puis, il invita Doemino à le suive à l’intérieur de la cour improvisée.

      « Veux-tu bien jeter un coup d’œil dans la tour ? indiqua Thorek. Juste assez pour voir s’il reste quelque chose dedans. Tu d’vrais trouver l’armurerie en bas, les baraquements sont à l’étage généralement… Et ne monte pas encore à l’escalier. Je n’suis même pas sûr qu’il en reste un. Oh, aussi, la porte manquante invite la prudence. »

      Se dirigeant vers l’intérieur de la muraille en galet, le nain se mit à arracher plus de lierre.

      « J’en ai pour quelques minutes, appelle-moi si tu trouves quelque chose. »

      Semblant se perdre dans sa tâche, le nain jeta tout de même un coup d’œil qu’il espérait discret par-dessus son épaule en direction de la recrue.

- Un loup ? répéta Doemino d'un air critique, pendant la tête de côté.

Dubitative, elle continua d'examiner la sculpture comme le vétéran s'intéressait aux tas de galets répondant au titre de muraille. Elle plissa les yeux, changea d'angle. Éventuellement, avec la lumière et en considérant que le tout c'était effrité et... dans son dos, Thorek changea brusquement de ton, attirant de nouveau son attention.

- De tout’façon ils n’y comprenaient rien...

Réalisant qu'il avait continué à parler sans s'apercevoir que la recrue n'écoutait plus, Doemino ouvrit grand ses oreilles, venant se placer à côté de lui. Elle tapa de son petit pied en même temps que lui, sans réellement percevoir que la terre avait plus ou moins d'eau. Puis lorsqu'il leva sa pioche pour indiquer le tronc tombé, elle observa et écouta attentivement.

- Pour les arbres j'pourrais donner un coup d'main ! se proposa-t-elle comme Thorek réfléchissait à la suite de son cours. J'en ai pas l'air, mais si ma m'man est calligraphe mon p'pa il est bûcheron. Et j'passe autant d'temps avec lui à couper du bois que l'nez dans les papiers, si c'n'est plus !
- Veux-tu bien jeter un coup d’œil dans la tour ? réclama finalement le nain avant de préciser ce qu'il attendait d'elle et ce qu'elle pourrait découvrir.

Hochant vigoureusement la tête, Doemino laissa là son barda avant de s'aventurer sous la sculpture de loup qui ressemblait à un chien. Posant les poings sur les hanches, elle sonda l'intérieur du regard. Il y faisait beaucoup moins sombre qu'elle ne l'anticipait, tant et si bien qu'elle put entrer sans attendre.

Des débris jonchaient le modeste hall d'entrée emplissant tout l'espace, entre boue, pierres tombées, poussière et feuilles mortes. Chaises, tables et tout le mobilier en fait avait été fracassés il y a bien longtemps, réduit en morceaux qu'elle pouvait retrouver ici et là. Quoi qu'il soit passé ici, ce n'était pas un animal car l'on s'était acharné à tout démolir. À s'assurer que plus rien ne soit utilisable.

Dans un coin se trouvait un tas de cendre d'où elle vit dépasser quelques ossements noircis. Quelqu'un ne c'était pas gêné pour s'abriter ici et même y faire un feu de camp sans même utiliser l'ancien âtre emplit de toiles d'araignées à même pas un mètre... Près de celui-ci elle reconnut un râtelier d'armes surplombé d'une étagère où poser des pièces d'armures - bien trop élevé pour les petits bras de Doemino - qui avait miraculeusement survécu au saccage. Vide l'un comme l'autre. Que ce soient les derniers défenseurs du fortin ou des pillards, tout ce qui avait de la valeur avait été emporté.

À l'opposé, un escalier de pierres sans rambarde était engoncé dans le mur et menait à l'étage. Cependant sans même avoir à grimper, elle pouvait voir le ciel bleu à quelques mètres de hauteurs à travers l'ouverture réalisée par l'arbre effondré. Si lesdites marches étaient couvertes de feuilles et de mousses, les pierres désolidarisées elles avaient toutes été balancées par terre par quelques visiteurs. Grimpant les premières marches pour aller jeter un œil aux baraquements évoqués par Thorek, son ordre de ne pas grimper lui revint en mémoire. Aussi redescendit-elle sagement.

lle s'intéressa ensuite à une trappe relevée sous ces marches dont les saccageurs n'avaient réussit à arracher qu'un des trois gonds. Les battants étaient néanmoins pliés et le bois à moitié arraché. Une pièce devait donc se trouver sous le sol - elle n'aurait sût dire s'il s'agissait de pierre nue, terre, carrelage ou plancher sous la couche de saleté. Mais probablement pas le dernier auquel cas elle aurait perçu des grincements sous son poids.

- Qu'est-ce qu'ils cherchaient en bas, murmura-t-elle pour elle-même en se penchant au-dessous de l'orifice.

Là encore, une volée de marches encastrées dans la paroi disparaissait dans les profondeurs d'une surface d'eau où surnageaient feuilles mortes et autres saletés. Faisant la moue car ne pouvant satisfaire sa curiosité, Doemino posa le pied sur la première marche et commença à se pencher pour essayer de percer l'obscurité du regard. Mais elle s'abstint de descendre plus bas. Sur les marches suivantes, malgré la couche de pousses et plantes grimpantes, elle perçut les reflets lumineux. Des éclats de verre. Pas question pour elle de s'y engager avec ses pieds nus.

Bredouille, n'ayant pas trouvé au grand-chose au final si ce n'est quelques lézards dans les marches ou une nichée de mésanges dans un coin de plafond, elle prit la direction de la sortie voir ce qu'il en était de Thorek.