Travailler m'aidait à ne pas penser. Me concentrer sur l'écriture d'une toute nouvelle partition truffée de glyphes abyssale me permettait de faire le vide, faire taire ce que je ne voulais pas ressentir et pourtant...
Passant mon bras devant la fenêtre de ma roulotte afin de récupérer un livre sur la grande étagère, la lumière pale de la pleine lune éclaira ma peau d'albâtre, y faisant apparaître et luire des marques noires, dorées et azurées.
Je les contemplais un instant, me perdant dans l'euphorie de la magie fourmillant sur ma peau avant de retirer vivement mon bras dans un soupir las, comme si je m'étais brûlé avec la flamme d'une bougie par inattention.
Je parcourus l'ouvrage sans réussir à piper mot. Une encyclopédie très complète et complexe sur les runes abyssales. Une magie que les virtuoses appréciaient pour la musicalité des symboles aqueux, mais qui demandait une maîtrise parfaite de cet art minutieux.

"Aller... Laisse tomber et allons courir dehors. Tu en meurs d'envie et moi aussi."

Lune, louveteau duveteux aux symboles luisant avait la truffe collée à la fenêtre, fixant la lune, sa queue touffue battait vivement l'air tant elle fourmillait d'excitation. Mon âme ne tenait plus en place, et moi non plus à vrai dire.

Lisant pour la énième fois la même ligne sans pour autant comprendre le sens de la phrase. Je refermais rageusement le livre en grondant d'exaspération.

"Tu as raison, une petite balade ne pourra pas nous faire de mal."

L'air salé me frappa dès ma sortie de la petite habitation sur roue. Nostalgie, regrets, trop de souvenirs s'entremêlaient dans cette ville et c'était pour toutes ces raisons que je ne voulais pas sortir, que je ne voulais pas m'abandonner à la nuit... Le cirque partirait bientôt d'Ishtar et j'avais grande hâte de pouvoir le suivre ailleurs.
La lumière pâle de la grande Lune éclaira les parties de mon corps qui n'était pas couvert de ma tenue de soierie légère. Le climat doux de la région avait au moins l'avantage d'être agréable même de nuit. Apparurent sur mes bras, mon visage et mes jambes les mêmes entrelacs dorés, noirs et bleutées, lumineux sous l'astre, fourmillant de magie pure.

Lune, créature lupine et vaporeuse, arborait les mêmes marques et voltigeait sous diverses apparences autour de moi.
Je fus à peine sorti du camp lorsque mes pieds devinrent des pattes, que mon âme et moi-même ne faisions qu'une et que le vent balayait agréablement ma fourrure alors que je courais vivement entre les arbres de la forêt ishtarienne. Une libération immédiate. Ne plus rien ressentir à part la présence réconfortante de la Lune me couvant de son œil maternel.

Mais je ralentis lorsque je compris où mon instinct me menait. Après tout... Pourquoi pas la revoir encore une fois ? Je n'étais pas revenu ici depuis ce jour... Magique. Céléaë m'avait parlé... Elle m'avait guidé vers lui comme le berger cherchant une brebis égarée. Elle voulait que je le sauve et je n'avais fait que l'offrir en pâture aux loups...
Je marchais silencieusement comme le prédateur que j'étais, me mouvant avec aisance dans la végétation dense de ces bois et puis j'y suis arrivée, en haut de la colline. Au plus près de l'astre, j’ai levé le museau et mes prunelles brillaient tout comme les marques dessinées sur ma fourrure.

Animal mystique pouvant certainement alimenter quelques fables. On ne saurait dire à présent si j'étais plus un chien ou un loup tant la frontière entre les deux espèces était faible. J'avais changé bien que mon odeur et mon aura, elles, restaient les mêmes. De la taille d’un homme adulte, ma fourrure semblait être un tableau de sable balayé au rythme du vent. Les entrelacs luisaient de plus belle alors que je me tenais immobile sous la Déesse argentée.
Mes yeux dorés et azurés fixaient l'astre avec adoration, mais également une profonde tristesse. Je voulais pleurer, hurler, la lui cracher en pleins visage, cette détresse qui m'habitait. J'avais appris à faire taire mon humanité, et pourtant elle me revenait en plein visage dès qu'elle le pouvait.

Et puis je le sentis, et puis je le vis, ma truffe était descendue lentement dans sa direction et mes yeux se plantèrent dans les siens. J'aperçus son âme brisée, en partie par mes soins. Car l'on dit que les yeux sont les fenêtres de l'âme et cela se vérifia sous une lune dégageant pareille puissance.
Je restais là, figée, bouleversée par l'incertitude et tout autant d'émotions qui se bousculaient en ma propre âme lupine. Je ne pouvais que laisser libre cours à mes sentiments primitifs sous cette forme. Aussi j'étais partagée. Je ne pouvais ériger de masque, je ne pouvais cacher ce que je ressentais réellement.
Une meute est une meute et on ne peut aller contre ses lois. Un loup est un loup est les liens qui unissent les loups sont plus fort que n'importe quelle autre forme de magie. Les étouffer reviendrait à tenter d'éteindre un feu à l’aide d’une couverture de brindilles.

Aussi me fallut-il toute ma volonté pour plaquer mes oreilles en arrière, baissant légèrement ma tête piteusement. Hésitant encore, je fis quelques pas avant. Avant finalement de faire demi-tour. Certaine qu'encore une fois, c'était le bon choix. Il prenait tant de soin à m'éviter, qu'il ne voudrait certainement pas que je reste. Pourquoi souhaiter la présence de celle qui lui avait piétiné le cœur ? Il devait me détester. Je voulais qu'il me déteste pour ce que j'avais fait, car ainsi, la distance était plus facile à supporter.

Se retrouver là... Comme la première fois...
Prête à partir, j'observais une dernière fois la grande Lune avant que ce ne soit trop difficile.

Il s’approcha de moi tandis que je reculais, finissant par m’immobiliser avec curiosité. Pourquoi ne ressentais-je aucune rancœur venant de lui ? Aucune animosité en son cœur ? Il se ravisa tristement, baissant sa main en tournant les talons, il commençait à partir alors qu’il m’invitait à rester pour me céder la place sous l’immense astre céleste.

Animé par un vif sentiment d’incompréhension, je changeais. La magie s’agita autour de moi, voiles azurées, linceul de Brume. Et alors que la Lune faisait briller les marques de magie pure sur ma peau d’albâtre, visible même sous mes vêtements de lin et de soie, j’apostrophais l’homme qui de dos ne bougeait pas, ignorant la fée qui rouspétait à ses côtés.

« Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu ne me détestes pas ? Pourquoi, après tout ce que je t’ai fait subir, tu ne me hais pas ? Pourquoi est-ce que tu ne me cries pas dessus toutes les horreurs que je t’ai dites ? Cela aurait rendu les choses tellement plus simples pourtant… Jack… »  

Je voulais vraiment qu’il me déteste, parce qu’ainsi, il aurait tiré un trait sur ce que nous avions vécu ensemble, cela l’aurait aidé à refaire sa vie, loin de moi.

Mais faire irrémédiablement partie de la même meute n’aidait pas à rester loin l’un de l’autre, et quoique nous ferions pour nous éviter, la lycanthropie finirait par faire en sorte que nos pas se recroisent.
Ma vie pourrait changer, mais la meute elle, est éternelle.
Voilà pourquoi je ne pouvais plus le laisser me fuir, je ne pouvais pas non plus disparaître à nouveau car si la Lune en avait décidé ainsi, nous devions parler aujourd’hui.

Je voulais comprendre, comprendre le cœur des hommes car les émotions, contrairement à ce qu’on pouvait penser, restaient un mystère pour moi. Je les ressentais, mais ne les comprenais que rarement. Mon pouvoir pouvait les changer, les modeler et il était si simple de faire disparaître la tristesse, la peine ou la colère… Mais je ne pouvais user de ce don en permanence, car les émotions humaines étaient délicates et définissaient ce que nous étions…
L’amour était le plus gros des mystères, incontrôlable, imprévisible. Impossible à faire disparaître.

Je soupirais, frissonnais même en imaginant la fin de sa phrase, espérant inconsciemment entendre de nouveau ce surnom murmuré. Relevant la tête, oubliant un instant le moment présent, je fus transporté à une autre époque qui me paraissait si lointaine, alors que finalement ce n'était pas il y avait si longtemps. Mais il ne vint pas et cela me troubla d'entendre mon prénom.
Me ramenant instantanément ici, sous la pleine lune alors que mes prunelles bicolores tombèrent vers le sol.

Je me sentais triste et pitoyable alors que son monologue finit, il continua de s'éloigner.

"Minerva à raison... Je t'ai chassé comme un malpropre, alors que tu essayais simplement de m'aider... Pars si tu le souhaites, mais fais le pour toi... Pas pour moi.

Cesse de te tourmenter et de croire que tout est de ta faute. Regarde-moi. Regarde-moi tel que je suis et non tel que tu me vois, car je ne suis pas humaine.

Je voulais te protéger. Je voulais que tu cesses de m'aimer parce que la magie me consumait et que je n'étais pas capable de la contrôler.
Mais tu n'y étais pour rien..."

Sous l'astre pâle, la magie fourmillait autour de moi, mais différemment qu'avant. Elle était attirée à moi tels des papillons par une source de lumière. Elle n'était plus la force impétueuse qui voulait tout détruire autour d'elle. Les arabesques luisaient sur tout mon corps, mon visage n'était pas épargné par les marques de magie pure. Je la ressentais pleinement, lien direct avec la Source dont je me nourrissais à chaque instant.

Les yeux toujours fixés vers le sol sombre de la forêt, je regrettais mes erreurs passées, ignorant ce que j'attendais de cet instant.

Figée un instant craignant d’en avoir trop dit, d’avoir encore une fois été trop loin. J’observais le lycan grondant sur la fée qui, pour la première fois depuis que je la connaissais, n’osait plus rien dire. Il tourna ensuite ses prunelles lupines vers moi qui restais silencieuse, supportant son regard qui traduisait tant de choses que je ne saurais les décrire précisément. Si tous mes instincts me soufflaient de détourner les yeux, je me forçais pourtant à faire face.
Défier des démons s’avérait plus facile qu’affronter le regard meurtrit d’un homme, car les premiers ne souffraient pas. Rexia faisait pâle figure à côté de Jack.

J’écoutais, tandis qu'une à une mes barrières volaient en éclats, brisés par ces mots comme de vulgaires murs de glace. Si enfouir mes émotions avait été facile, les laisser ressurgir tel le torrent d’une rivière était douloureux.
Des larmes commencèrent à rouler sur mes joues, et à ses dernières paroles, j’éclatais en sanglots, là sur la colline, sous le ciel étoilée, des larmes si longtemps refoulées se libéraient enfin. Le poids du monde semblait s’envoler de mes épaules alors que je m’effondrais pitoyablement, les bras serrés tout contre moi. Mes petits crocs blancs se découvrant à chacun de mes hoquets sanglotant.
Je balbutiais, bégayais ce qui voulait se traduire par des excuses alors que la réserve de mes pleur semblait intarissable. Comme le petit animal sauvage que j’étais se rappelais de la douleur de ses émotions, Managarm effondré que j’étais qui ne saurait être plus humaine que maintenant.

« Je… Je suis désolée… Tellement… Bouhouhouhou… Je ne peux pas… Je ne peux pas t’aimer comme tu m’aimes… Snif… Bouhouhouhou… Mais je ne veux pas te perdre… »

Mes larmes cessèrent peu à peu. Je reniflais, en proie à de nombreux hoquets alors que je m’imposais le calme. Ses mains sur mes épaules me ramenèrent à l’instant, et essuyant mes yeux du dos de mes mains, je supportais une nouvelle fois son regard. Il était perdu, déboussolé. Étais-je seulement mieux ? Il était persuadé que ce que je lui avais dit à Spelunca était totalement vrai, traduisait mes émotions du moment.

« Je… Je n’ai jamais voulu que tu partes, je voulais te protéger… Je… »

Soupirant, hésitante, j’ignorais quoi dire ou quoi faire. Comment lui expliquer ? Comment faire pour qu’il comprenne ? Mais le contact de ses paumes me donna le courage, le courage d’être sincère. Aussi, déposant mes petites mimines pâles sur ses joues, j’approchais son front du mien, la magie vibra dans l’air tandis que j’ouvris totalement mon esprit au sien. Les marques sur mon corps brillant d’autant plus. Il pouvait ainsi ressentir l’amour que je lui portais, mais également les doutes qui m’habitaient. Mon esprit qui vagabondait en permanence vers des inquiétudes et des certitudes. Mon cœur se portait vers Ihana Sidän, cette utopie pour tous les lycans. Loin de la tyrannie vampire et des guerres inter-clans. Des jeux de pouvoir qui m’accaparaient et auxquels je jouais bien maladroitement. J’aimais Jack comme j’aimais ma meute et j’ignorais encore toutes les variantes de l’amour et si même j’étais capable de les différencier.
Une éternité s’écoula en quelques secondes, je rompis le contact délicatement en m’éloignant un peu. Consciente de la première expérience magique du lycan, j’attendis un moment afin d’être sûre qu’il soit revenu en lui-même. Cherchant au passage mes mots, sachant que démêler le flot d’émotions que je lui avais envoyé était presque impossible.

« Je… Je ne veux pas que tu partes, Jack. Mais je ne suis pas prête pour ces choses-là… Je ne le serais peut-être même jamais. Je t’aime, c’est indéniable mais… Je ne veux pas que tu vives à mes côtés en espérant obtenir quelque chose que tu n’auras certainement jamais. »

Les genoux remontés sous mon menton, j’avais fermé les yeux, honteuse d’avouer ainsi mes véritables sentiments. Le silence avait pris possession des lieux, si bien qu’au loin je pouvais entendre les vagues s’abattre sur les rochers.

Je me rendis compte de l'erreur que j'avais commise. J'aurais pu le blesser ou pire... Causer des dégâts irréversibles à son esprit. De plus, ça n'avait servi à rien. J'avais seulement agi sous le coup de l'émotion.
"Je suis désolée... Je n'aurais pas dû." Amenant mes bras autour de mes jambes, je me recroquevillais un peu plus sur moi-même alors que sa confusion était palpable.

Mais il finit par revenir à lui, et je me renfrognais à chacun de ses mots. Puis Minerva se réveilla, rouspétant et giflant son compagnon. Si je l'ai fixé un instant les yeux ronds, en d'autres circonstances, j'aurais certainement pu rire du comique de la scène, le froid se réinstalla pourtant sur la colline. Un blizzard qui aurait pu geler le désert de Harena tout entier.

"Tu m'as demandé ce que j'attendais de toi... Mais j'ignore ce que tu attends de moi également... Bougonnais-je.

Alors voilà, je ne peux être protégé et tu as échoué à le faire, tu ne peux être protégé et j'ai échoué à la faire aussi. On a tous les deux échoué, on a rompu nos promesses et pourtant, on est tous les deux bien vivants. Si c'est moi qui t'ai obligé à rompre la tienne, alors ça ne compte pas, non ? " C'était à moi d'être totalement perdue, je lui avais étalé mes sentiments, mais plus je parlais et moins ça semblait compréhensible.
"Maintenant, qu'on sait qu'on est nuls en promesses... Que fait-on ?" J'enfouis ma tête dans mes genoux, totalement désemparée.

Le silence s'allongea et les secondes devinrent des minutes. Si bien qu'à un moment, je crus que la discussion était close, que plus aucun son ne viendrait troubler le calme nocturne de la colline et qu'à cette conclusion plus rien ne viendrait se rajouter.
Et puis Jack vint s'asseoir face à moi, relevant la tête, je l'observai avec curiosité tandis qu'il prenait mes mains dans les siennes.
Et ma mine se fit désapprobatrice lorsque je compris ce qu'il comptait faire. Ce qu'il me demandait silencieusement, alors qu'il ne savais pas ce qu'il faisait. J'eus un mouvement de recul, mais il avait certainement prévu ma réaction, sa main sur ma nuque m'empêcha de partir. Ce contact fit gronder la magie, réveilla l'appétit vorace dont elle pouvait faire preuve. Dont je pouvais faire preuve.

« Tu joues à un jeu dangereux... Jack » soufflais-je d'un ton presque menaçant en m'abandonnant totalement à la Source.

Si auparavant je ne lui avais laissé entrapercevoir qu'une infime partie de mon esprit, lui, en revanche, m'ouvrit toutes entières les portes de son subconscient. Un open bar dans lequel je déboulais comme un boulet de canon. Son esprit se brisa sous la force de l'impact alors que je passais en revue toutes ses émotions, jusqu'au plus profond de son âme.
Une faim insatiable me dévora les entrailles alors que je me trouvais au centre d'un buffet à volonté fort appétissant et je dus faire preuve d'un immense contrôle pour ne pas consommer la moindre parcelle de son esprit.

Je fis mienne ses peines, spectatrice impuissante de sa vie passée. Me concentrant sur les blessures que lui avait infligées une existence de perte et de deuil. Peu à peu, je recousais les morceaux rapiécés de son âme brisée alors que j'absorbais sa détresse, sa tristesse. Je pleurais en même temps que lui, je me transformais dans un grondement sauvage, je réduisis en charpie le corps de celle que j'aimais. Dans une rage folle, meurtrière et destructrice, je fis cesser de battre le cœur de beaucoup trop de personnes. Parallèle curieux de ma propre existence...
Et je vis l'espoir briller comme une étoile dans la nuit, ce même espoir qui, en une fraction de seconde, s'éteignit dans un nouveau soupir alors que ce discours prononcé me découpa comme un millier de lames. Une vie de solitude, de rage et de tristesse. Mais toujours vivait cette petite flamme au fond de son cœur, cette petite flamme nommée Holy.

Je revins dans mon propre corps, repue, épuisée, me rendant compte que c'était lui qui avait rompu le contact, il m'observait sans rien dire.

« Comment tu te sens ? » Lui demandais-je. Inquiète. Ma magie était nettement plus puissante qu'avant, j'avais pu en avoir la preuve. J'avais vu son esprit avec tant de clarté que j'avais pu m'y mouvoir sans peine et m'attaquer aux émotions néfastes qui le rongeaient. Le but n'avait pas été d'annuler tout ce qu'il avait pu ressentir, mais de soulager la pression de son cœur. Prenant le mauvais pour remplacer par du bon. Tel était le pouvoir de Holy.
Je ne sus que répondre à tout cela. Je digérais encore tout ce qu'il m'avait donné. J'espérais seulement ne pas être allée trop loin.

« Ne recommence plus ce genre de chose. La magie c'est pas juste un moyen de ne pas exprimer ce qu'on ressent avec des mots... J'aurais pu ne pas me contrôler... » Bougonnais-je sur le ton du sermon. Soupirant bruyamment tout en continuant à démêler les fils de ses pensées.

« Alors c’est ça… Tu veux rester à mes côtés, même si je t’ai blessé ? Tu te rends compte que j’ai changé, depuis la nuit de notre rencontre ? Le démon est mort. Je… Je ne suis plus le pantin d’entités supérieures, les dieux ne peuvent plus rien contre moi. Tout ce que je fais, je le fais de mon propre chef, Jack. Il y a des devoirs que je dois accomplir… Et ça risque de ne pas toujours te plaire… C’est vraiment la vie que tu souhaites ? »

Je soupirais lentement, sa réaction traduisait sans difficulté la réponse à ma première question. Je l’observais sans rien dire, car rien ne devait se mettre sur le chemin de son propre esprit. Il y a des voyages que l’on doit faire seuls.

« C’est bien, Jack. Se souvenir et un premier pas dans sa propre rédemption et l’acceptation de soi. Le petit coup de pouce magique n’est qu’une accélération du processus, rien de plus. »

Il finit par se reprendre, braquant ses yeux dans les miens.

« Tu essaies d’expliquer au courant d’une rivière ce que ressentent les poissons qui y nagent… Tu essaies de faire comprendre à un arbre ce que ressentent les oiseaux qui nichent dans ses branches… Enfin, les images ne sont pas folles, mais tu vois l’idée, non ? Je suis comme un arbre qui voit le monde dans un tout, une entité unique et indissociable et qui ressent une infinie de choses. Quelques fois, de petits détails m’échappent. D’autres fois, je m’y attarde et constate que l’Homme est une créature complexe dans son individualité.

Au point où on en est de ce rp, je pense que personne n’aura eu le courage de le lire jusqu’ici. Mise à part Mora qui le dévore munis d’un bol de céréales noyées dans du chocolat à l’eau. Alors autant être sincère et ne plus niaiser. Il croit à un remake de la saison 1 et que dans 12 épisodes nous nous embrasserons. Puis que dans un rp futur nous vivrons heureux en ayant beaucoup d’enfants, sous les regards inquisiteurs d’Azriel et Urua en totale désapprobation de cet acte narratif.

Alors non, tout ce que j’ai vu, ressentie dans ton âme… Ne m’a pas plu. Mais Jack, soyons honnête, j’ai vue bien pire. Je… Je suis loin d’être horrifiée par des actes aussi incontrôlés que tuer sa femme lors de sa première transformation. Parce que j’ai fait bien pire… J’ai tué des enfants. Je les ai vus mourir sous mes yeux, et je n’ai rien pu faire. Ensuite, j’ai rasé leur village sous le coup de la colère. Et tu sais ce qui est le pire, Jack ? C’est que je ne ressens aucun remord. Je ne regrette pas d’avoir agi ainsi. J’avais le Contrôle de la situation, et pourtant, j’ai choisi de laisser parler ce qui avait de pire en moi. Nous voilà donc deux monstres assoiffés de sangs, prêts à tout pour protéger leur meute. Le regret ne fera pas revenir Ludmila. Te punir jusqu’à la fin de tes jours pour ce que tu as fait, non plus. Aujourd’hui, tu dois vivre.

Alors si tu as besoin de moi, reste donc à mes côtés, cesse de faire des promesses ridicules, car si j’ai bien appris une chose, c’est qu’une promesse n’est rien d’autre que des mots pouvant s’envoler dans le vent. Tu sais quoi. Finis les promesses, nos routes vont irrémédiablement se croiser, suivre les mêmes chemins. Peut-être qu’elles vont se séparer à certains moments, mais est-ce grave après tout puisque si le destin en a décidé ainsi, elles finiront par se rencontrer de nouveau ? »

Je fis une pause dans mon monologue, l’euphorie de la Lune, le fait d’avoir endigué un flux de mauvaises ondes, de les avoir changés en papillons azurés volants sur la colline dans des traits colorés. Je m’allongeais là où je me trouvais, les yeux levés vers l’astre pâle, gigantesque, qui me couvait de sa douce lumière. Les marques sur mon corps ne pouvaient dégager plus de brillance. Je voyais les embranchements du fleuve d’Éther, je voyais des choses qu’aucun homme ne serait capable de visualiser.

« Pour fêter le renouveau, le printemps, la réconciliation de deux alphas, nous devrions faire quelque chose de concret ! La garde Zéphyr et les Pirates, signons un traité pour se prémunir des guerres à venir, par exemple ! »

Je regardais le ciel, la Lune et les étoiles tout en le laissant partir, ses mots vibraient à mes oreilles, réveillant mes sens dans des fourmillements endormis et alors je soupirais longuement, savourant chaque petit détail des ondes chantantes qu'il m'envoyait.
Je fermais finalement les yeux afin de me perdre totalement dans la saveur de ses sensations.

« Ce sont les petits détails, qui font que la vie est si précieuse. Et crois-le ou non, cela m'attriste de passer à côté lorsque je ne ressens que la globalité du monde. Quelques fois, je ne perçois que l'entité que représente le Tout. L'unicité est une force, car si nous formons un, en étant des centaines, alors nous sommes plus forts, tu comprends ?
Mais cela signifie que l'unicité éprouve et ressent tout en même temps. Il est plus difficile de démêler chaque fil de chaque individu indépendamment. Mais c'est grisant de sentir, de prendre conscience que nous sommes un maillon dans le tissu de l'univers. Alors, oui, je peux paraître détachée de tout sentiment… Mais c’est parce qu’en réalité, je ressens tout, en même temps. Voilà pourquoi il me faut me concentrer pour pouvoir m’isoler du Tout.

Tu n'as qu'à sauter de cette falaise, et alors tu sauras ce que je ressentirai... Je ne te laisserai jamais t'écraser en bas, Jack.

Pourquoi faut-il toujours que les hommes s’encombrent de promesses ? Ne peut-on pas tout simplement vivre notre vie au jour le jour ? Je veux t'aimer Jack, j'en ai vraiment envie. Mais je ne veux pas me sentir emprisonné par un amour motivé par des promesses. Je veux t'aimer comme j'en ai envie... Peut-être est-ce égoïste de ma part... Ça ne te conviendra certainement pas. Mais je ne peux t'offrir plus, au risque de te briser une nouvelle fois le cœur.
Je ne veux pas avoir besoin de toi, car ce serait avouer mes propres faiblesses. Je te veux à mes côtés, mais que si tu en as vraiment envie. Je veux que tu aies conscience que tu es libre de ta vie.
Si tu décides de rester alors je chérirais tous les moments que nous passerons ensemble, et si un jour, tu décides de partir, certes cela me rendra triste, mais je l'accepterai et je serais heureuse pour toi.
Je t'aime d'un amour différent de ce que tu imagines sûrement... Mais sache que je t'aime. La manière, est-elle si importante ? »

Mon monologue finit, je restais toujours immobile, en ayant conscience de la Présence de mon ami non loin, se rapprochant du bord de la colline.

Sentant son regard posé sur moi, je finis par me redresser afin de poser mes prunelles bicolores dans les siennes. Je pouvais encore une fois y lire l'incompréhension la plus totale. Me prenait-il pour une demeurée ? Je fronçais les sourcils, vexée de ne pas avoir obtenu le résultat escompté.
Et puis j'ai longuement soupiré, me levant, époussetant ma tenue de soie volatile, défaisant les plis formés dans les voilages assombris par la nuit, avant de le rejoindre face au vide. La forêt continuait en contrebas, on voyait à peine le sol recouvert d'aiguilles de pin.

"Oh, crois moi qui si tu sautais, tu en ressentirais des choses avant de te fracasser par terre... Mais il y a déjà trois sortilèges d'aéromancie prêts à te réceptionner avant que tu ne touches le sol..." Soufflais-je, au cas où il n'avait pas compris ce que je lui avais dit précédemment.

Je souris, d'un sourire franc, sincère. Doux et affectueux.

"Soyons amis Jack. C'est tout ce que je te demande. C'est ce que je veux. C'est ce que j'essayais de t'expliquer. Mon amitié, à l'heure actuelle, et la seule chose que je me sens capable de t'offrir..."

Mon sourire s'effaça peu à peu, ne laissant place qu'à un profond malaise. Détournant les yeux, je trouvais un immense réconfort à fixer la lune.
Comprendrait-il l'importance de mes mots pour moi ? Ou encore une fois sera-t-il trop profondément noyé dans son propre univers pour pouvoir goûter au mien ?