J’avais beau quitter cet endroit, mes pas me ramenaient inlassablement vers la savane. Vers Kothemba et ses malédictions. Telle une lueur brillante dans la nuit, un phare appelant les bateaux, je revenais toujours. Je n’avais pas brûlé le parchemin sur lequel Neïwa avait noté plusieurs noms. Pourtant j’y ai longuement réfléchi. Un soir, ma main s’était arrêté au-dessus du feu car je voulais oublier. Je ne voulais plus penser aux folies de ses terres maudites. Mais j’avais fini par le replier et le ranger dans un coin de mon bureau. Ce… Pouvoir… Je me demandais bien ce qu’il pourrait être…

Aujourd’hui, c’est avec ce petit bout de papier en poche que j’arrivais au village barricadé. De nouveaux buts à atteindre c’était dessiner dans mon esprit. La dernière fois que j’avais dépassé ces portes, je ne ressentais que colère et désarroi. J’étais perdue, un mal qui n’avait pas de nom me rongeait de l’intérieur, me faisait perdre tout contrôle. Mais Rexia n’est plus… Quelque chose de bien plus grand a pris place au creux de mon âme, me libérant de son emprise poisseuse. J’étais différente depuis mon saut dans l’Immatériel.

Bien droite sur le dos de Céléborn, ma posture avait légèrement changé, plus gracieuse, plus confiante. Mon aura dégageait une certaine assurance et une noblesse toute neuve dont je n’avais même pas conscience. Mon armure d’écailles de cuir noir ne faisait que plus ressortir le teint laiteux de ma peau ainsi que ma longue chevelure argentée ramené au-dessus de ma tête par une coiffure simple mais pratique. Arrivé non loin du lowen, je mis pied à terre avant de m’approcher, bride en main, l’ocarinharpe vibrant dans l’étui accroché à mon dos. Fichant mes prunelles or et azure dans ses yeux ronds de félin.

« Urua… Ça fait plaisir de te revoir ! » J’oubliais un instant le but de notre mission en ces terres désolées, trop heureuse de retrouver mon ami. Consciente que nos dernières entrevues n’avaient pas été des plus détendus. Je n’avais pas donné énormément de nouvelles et mes voyages n’avaient fait que s’enchaîner depuis lors. Aussi lorsqu’il m’avait adressé une missive me demandant de l’accompagner de nouveau dans un périple safariesque, je n’avais pas longtemps hésité. « Comment vas-tu ? Comment va la Garde et Sylfaen ? J’ai conscience de ne pas avoir eu beaucoup de temps à accorder à mes obligations ces derniers mois… Mais je vais me rattraper ! » Vaincre un démon n’avait pu se faire en un jour après tout. Je souriais avec sincérité, comme cela ne m’était plus arrivé depuis un long moment.

Un vent sablé soufflait sur l'aventurière emmitouflée dans un foulard. Retrouver l'ardeur de la savane lui avait fait ressurgir de nombreux souvenirs. Il y a bien longtemps qu'Ehawee avait foulé ces terres, en compagnie de Doebroksh le minotaure et d'Urua le löwen désormais compagnon de longue date et Seigneur Sylvestre.

Du sable avait coulé mais les kothembiens étaient toujours piégés entre plusieurs fronts. Urua et Ehawee s'étaient toujours dits qu'ils reviendraient dans la région pour éradiquer la racine du mal un jour, une fois qu'ils seraient plus puissants. Cela avait pris du temps et de nombreuses expériences les avaient transfiguré depuis, mais le löwen avait du sentir qu'il était enfin l'heure de partir en traque. Aussi l'elfe avait manqué son appel à l'aide, pour des raisons liées à la surveillance de l'Immatériel...il pouvait arriver qu'elle ne donne pas signe de vie durant quelques semaines, voire des mois, comme déphasée dans le monde spirituel, nul ne sait exactement ce qu'elle y fait (ne cherchez pas trop). L'elfe, donc, avait découvert le message un peu tardivement, et s'était précipitée pour rattraper le seigneur sylvestre sans vraiment trop savoir à quoi s'attendre, vagabondant comme une flèche sur le dos de Tadi.

À son arrivée à Kothemba, Ehawee y reconnut bien sûr les habitations toujours aussi rudimentaires. Il fallait croire que le village n'avait pas beaucoup changé, sa situation stagnait, en équilibre sur une crête dangereuse, où tout pouvait basculer. Mais il avait tenu bon. Un certain soulagement parcourut le coeur de la brune qui se dit qu'elle ferait peut-être une visite chez Neïwa. Pour l'heure néanmoins, sa tâche était de trouver son camarade de la Zéphyr.

Marchant dans les chemins du village, suivie au pas par le cerf royal, elle aperçut, surprise, un autre cervidé, puis une tête connue. Holy avait donc répondu à l'appel de leur compagnon, et sa présence leur donnerait encore plus de courage, Ehawee en était certaine. D'ailleurs, elle remarqua que la musicienne avait bien changé depuis la dernière fois. Ça lui creva les yeux, même. La prestance, l'assurance dans sa posture et dans ses gestes. Son regard, lorsqu'elle se tourna vers l'elfe...Comme les humains, les thérianthropes changeaient si vite du point de vue de l'archère. Le löwen, quant à lui, respirait déjà la noblesse depuis ses différentes ascensions. Cela dit, il avait toujours eu ce port altier, royal; le prestige lui allait si bien, en un sens. Le climat de la savane lui octroyait une crinière superbe.

- Eh bien, nous voilà tous les trois réunis ! s'exclama-t-elle en direction des deux zéphyriens, avec la mine ravie et encore un peu haletante. J'ai eu peur de ne pas pouvoir vous rattraper, mais je vois que je ne suis presque pas en retard. Une expédition comme celle-ci, je ne pouvais pas la manquer ! expliqua-t-elle.

En effet, l'elfe s'en serait bien voulue de ne pas avoir été là pour ce que le trio s'apprêtait à faire...À savoir, mettre un terme à l'hégémonie d'un tyran.

L'odorat développé du Löwen lui apprit avant sa vision ou son ouïe que celle qu'il attendait n'était pas loin. Il se retourna et fit face à la nouvelle arrivante. Un sourire naquit sur ses babines, remarquant d'emblée le port altier et la prestance nouvelle de la jeune femme. Elle qui lui avait semblé malade, perturbée et très anxieuse lors de leur dernière aventure, semblait maintenant aussi rayonnante d'autorité et de présence que lui-même. Il fit un petit signe de tête à Lune, la personnification de l'âme d'Holy et caressa doucement Céléborn.

« Urua… Ça fait plaisir de te revoir ! Comment vas-tu ? Comment va la Garde et Sylfaen ? J’ai conscience de ne pas avoir eu beaucoup de temps à accorder à mes obligations ces derniers mois… Mais je vais me rattraper ! »

- Tout ce qui compte, c'est que tu ailles mieux. La Garde t'attendra toujours à ton retour.

Il lui sourit chaleureusement pour la rassurer et boucla ce qu'il avait pris de bagage pour ce nouveau périple. Toutefois, une sensation étrange l'assaillit. Ses sens devaient le tromper. Il ne l'avait pas mise au courant et ça faisait bien longtemps qu'il n'avait pas senti leurs odeurs. Tadi et Ehawee approchaient. Urua se retourna et les vit se diriger vers eux le long de l'allée principale de Kothemba.

- Eh bien, nous voilà tous les trois réunis ! J'ai eu peur de ne pas pouvoir vous rattraper, mais je vois que je ne suis presque pas en retard. Une expédition comme celle-ci, je ne pouvais pas la manquer !

- Quelle bonne surprise ! Je ne pensais pas que tu serais disponible. Comme au bon vieux temps, on va finir ce qu'on a commencé !

La phrase fut ponctuée d'un sourire bien différent de celui qu'il avait octroyé à Holy. Celui-ci était plus carnassier, plus sauvage, le faisant ressembler à un vrai lion. Il avait hâte de prendre la route et d'aller rectifier l'erreur de ce monstre qui se croyait tout permis parce qu'il ne rencontrait que peu de résistance dans ce coin reculé du monde.

- Vous êtes prêtes ? On y va ?

Je souris à Urua, je pouvais le sentir rassuré de mon état et j’en fus soulagée. Il était content de me retrouver, agréablement surpris de ces petits changements qui semblaient visibles sur moi. Avoir conscience de ses inquiétudes m’avait fait mal au cœur, car dès lors, elles étaient fondées. Je n’avais pas pu lui en parler et ça n’avait fait qu’accentuer le supplice de mon silence. Notre dernière rencontre aurait pu être la dernière et je ne lui avais même pas dit au revoir comme il se devait. Pis encore, ça devait être la dernière. Rexia aurait dû gagner. En y repensant, la chance m’avait grandement aidé… Non. Pas la chance, le Styx, la boucle infinie du temps et de l’espace avait croisé mon chemin pour me repêcher et me sauver de la noyade.

Pensive, les yeux balayant un point invisible à l’horizon, le lowen me ramena à l’instant présent. « Merci. » Soufflais-je sans perdre mon sourire, l’âme et le cœur réchauffé par sa lumière. Lune, de sa forme lupine habituelle, le salua silencieusement en retour avant de se tourner dans la direction que tous semblaient suivre avant même que n’apparaisse Ehawee entre les habitations précaires du village.

Cela faisait si longtemps que je ne l’avais vue ! Une étrange sensation me parcourut l’échine à son approche. Depuis mon passage dans l’Immateriel, ainsi que tous les évènements qui en avait découlé, je ressentais une multitude de nouvelles choses que je ne savais pas encore identifier. Une énergie particulière se dégageait de l’elfe. Est-ce que ça avait toujours été le cas ? Je ne saurais le dire. Mais je ne voulais pas y penser, je fis taire mes sens et mes perceptions extra-sensoriels, me concentrant uniquement sur la joie de retrouver une amie et l’excitation de partir en mission avec une fine équipe.

« Ehawee ! Quel plaisir de te revoir ! M’exclamais-je. Oui, je suis prête Urua, je crois que nous pouvons y aller. »

Je pris un instant pour confier Céléborn à un humain apte à s’occuper d’un cervidé, en tout cas, je l’espérais. Ma dernière expédition dans les vastes plaines arides m’avait montré que sa place n’y était pas et que le paysage n’était pas son terrain de jeu favori. Le cerf royal semblait soulagé de pouvoir se reposer ici. Lune restait près de moi, prête à en découdre.

« Qu’as-tu fait pendant tout ce temps, Ehawee ? » Demandais-je sur le ton de la conversation et de la curiosité, prête à emboîter le pas à notre Seigneur Sylvestre, certaines qu’on aurait le temps de discuter sur le chemin avant de devoir sortir griffes et crocs. J’avais hâte de rattraper le temps perdu, que ce soit avec Ehawee ou Urua à qui je devais mon lot d’explications… Un jour… Bien que j’avais conscience que nous n’étions pas là pour ça.