Alors c’est toi le guerrier qui est à ma recherche…Saigo n’avait pas vu tout de suite le visage de Rhaast, mais un sourire amusé s’était dessiné sur le sien. Le vent impardonnable du Grand Nord fouettait sa cape de voyage et malmenait l’épaisse capuche doublée en fourrure, qui masquait son visage. L’Exécuteur se retourna lentement pour aviser le dernier Maître de la Voie.
Tu n’es pas facile à atteindre, Tueur de Géant.Le stryge noir à qui il s’adressait lui ressemblait un peu. Ils étaient de taille et de musculature similaire, du moins c’est ce que leurs tenues, elles-mêmes quasi-identiques, laissaient deviner. Rhaast arborait également de longs cheveux noirs, attachés en queue de cheval, mais d’où quelques mèches, parfois grisonnantes, s’échappaient pour tomber de chaque côté de son visage. Là où l’aîné se différenciait du Parricide, c’était sur l’absence de barbe, et la couleur de ses yeux. Un regard vairon, l’un d’un bleu perçant, l’autre d’un rouge sanguinaire. Le genre de détail qui garantissait un frisson d’effroi pour le malheureux qui croisait la route du Tueur de Géant.
Saigo avait eu bien du mal à mettre la main sur son congénère. Plusieurs semaines plus tôt, il avait franchi les Sombres Montagnes de Kanaan et s’était aventuré dans le Grand Nord, à la recherche du mystérieux Rhaast, le troisième Maître de la Voie. Le gardien de la dernière technique de l’Exécuteur Parfait vivait reclus dans cette région hostile, tapis dans l’ombre car recherché, mort ou vif, par de nombreux clans, de Kastalinn à la Banquise. Pour cause, des années auparavant, le stryge noir avait craché au visage des traditions nordiennes, bafouant un Glima en usant des pouvoirs divins conférés par Mahriser. Après des semaines de recherches infructueuses, Saigo avait emprunté le même chemin, abattant le Champion du Glima d’un seul coup de poing, alors qu’il avait laissé le Dragon Blanc déchaîner son pouvoir à travers lui. Il avait dû fuir l’arène nordienne, abattant d’autres gladiateurs et gardes cherchant à venger l’honneur de leur peuple sur le chemin. Il savait désormais que les portes du Glima ne lui seraient plus jamais ouverte. La nouvelle se répandrait vite, et tôt ou tard, moult clans nordiens se mettraient à sa recherche. Peu importait : une fois son entraînement auprès de Rhaast terminé, Saigo ne comptait pas s’éterniser dans le Grand Nord.
Les deux Exécuteurs se firent face quelques instants, se jaugeant mutuellement, avant de se rapprocher et de se saluer, comme deux frères d’armes. Le Tueur de Géant repris la parole, l’air grave :
Rares sont les Exécuteurs osant s’aventurer sur la Voie. Encore plus rares sont ceux qui maîtrisent l’Incarnation. Je ne suis pas certains d’avoir quoi que ce soit à t’apprendre. Lorsque Mahriser nous confère ses pouvoirs, c’est comme si nous utilisions simultanément les trois techniques de l’Exécuteur Parfait. Je n’ai pas encore percé tous les mystères du Tueur de Géant. Je ne suis pas capable de l’utiliser séparément de l’Armure Vivante, ou du Zéphyr. J’ai fait tout ce chemin jusqu’à toi pour cette seule raison. M’enseigneras-tu tout ce que tu sais, pour m’aider à avancer sur la Voie ?Le Tueur de Géant hocha lentement la tête.
C’est la seule raison pour laquelle Mahriser a fait de moi l’un des Maîtres. Si le Dragon Blanc a fait de toi son Héraut, si tu es appelé à être l’un des élus qui maîtrise les trois techniques et s’est montré digne de l’Incarnation… Alors je te transmettrais tout mon savoir. Les deux Exécuteurs se serrèrent la main. Ils n’avaient nul besoin de préciser que l’entraînement débutait immédiatement. Tout deux avaient passé leurs vies à cela.
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Comme l’avait prédit Rhaast, il ne fallut que peu de temps à Saigo pour comprendre tous les rouages du Tueur de Géant. L’utilisation de cette technique n’était pas très différente de celle de l’Armure Vivante. Si cette dernière demandait de concentrer toute sa force en un seul point du corps pour encaisser un coup, le Tueur de Géant réclamait ensuite de propulser toute cette énergie hors du corps, pour accentuer l’impact de chaque coup. Ainsi, les coups de Saigo, portés sans relâche contre les parois de diverses cavernes de la banquise, se faisaient chaque jours plus puissants, provoquants de plus en plus vite l’affaissement des parois rocheuses et la nécessité de rester en mouvement. Les deux stryges noirs n’y voyaient guère d’inconvénients, se sachant tout deux recherchés. Après seulement deux semaines, Rhaast avait fini par confier une nouvelle tâche à Saigo : passer des parois rocheuse à un vrai adversaire.
Et pas un vulgaire loup ou un autre nuisible ridicule du coin, avait précisé le Tueur de Géant.
Tu pars à la chasse au troll des glaces. Terrasses-en un grâce à mes enseignements, et quitte donc ces terres hostiles. Je n’aurais rien d’autres à t’enseigner, seule la pratique te permettra d’atteindre la maîtrise optimale de cette technique.
Sans attendre, le Parricide avait remercié son mentor, et avait pris la route. Les Exécuteurs n’étaient pas du genre à s’éterniser après les adieux. Tout deux le savaient, viendrait un jour où ils seraient amenés à se revoir. Pour l’heure, le Héraut de Mahriser devait poursuivre son chemin sur la Voie.
Ses pas le menèrent toujours plus au Nord, dans une forêt dense, au sein d’un creux dans les montagnes. Saigo longeait la paroi rocheuse, d’une part pour se repérer, d’autres part car il ne savait que trop bien où se terraient ses proies. Il cherchait une caverne, une tanière, il traquait le troll sans relâche, ne s’autorisant que rarement le moindre répit. Au vu du froid qui régnait dans le Grand Nord, une nuit de sommeil avait de grandes chances d’être fatale.
Au crépuscule du troisième jour, l’Exécuteur parvint enfin à son but. Dans les profondeurs d’une grotte, un troll de glace, assoupi, l’attendait bien sagement. Il était à sa merci, le stryge aurait simplement pu le tuer dans son sommeil. Mais il n’était pas là pour vaincre sans péril. Alors, avec confiance, Saigo se posta à l’entrée de la caverne et vociféra :
Oï, fils de p***… réveille-toi, c’est l’heure de mourir.Le troll grogna, s’agitant dans son sommeil avant d’ouvrir un oeil agacé sur le stryge noir. S’en suivi un hurlement qui fit trembler les parois de la grotte. Lentement, le monstre se relevait, le regard injecté de sang, la bave aux lèvres et une sévère envie d’en découdre. Saigo, lui, souriait à pleines dents. Sa cible avait mordu à l’hameçon… ne restait plus qu’à l’emmener dans un terrain plus propice à l’affrontement.
Attendant que le troll se lance à sa poursuite, le stryge noir tourna les talons et s’enfonça dans la forêt. Derrière lui, il entendait le craquement du bois mort. Tout autour de lui, il voyait des arbres s’écrouler, en emporter d’autres dans leur chute. Il savait qu’il devait sortir de la forêt, afin d’éviter que des éléments extérieurs viennent le déranger. Dans une autre vie, il n’aurait sans doute pas pris la peine de prévoir une stratégie. Il aurait compté sur ses dagues et sa force pour s’assurer la victoire. Mais depuis sa résurrection, Saigo avait appris à choisir son moment, et à ne pas accepter le combat autrement que dans ses conditions. L’affrontement se ferait donc sans qu’il ait à esquiver les troncs d’arbres arrachés par le troll.
Ne restait plus qu’à sortir de la forêt…