Il faisait froid au petit matin mais globalement on se pelait vachement moins les miches que les jours précédents. L’hiver avait enfin fini de prendre son temps et de souffler sur les montagnes, le soleil commençait enfin à chauffer un petit peu, la neige fondait, et tout ce qui avait survécu à la période froide était en train de ressortir joyeusement gambader à l’air libre.

Le père de Corbeau avait donc passé la nuit à truffer la montagne de pièges diverses pour cueillir les lapereaux de l’année, et pendant qu’il dormait du sommeil du juste, Corbeau de son côté avait décidé d’en profiter pour aller voir si sa cabane avait survécu à la neige.

Et comme la cabane était installé dans un des rares pins réussissant à pousser à cette altitude, il comptait bien au passage ramener assez de pignons pour donner un peu de goût à la viande.

Corbeau en 793 :

Corbeau était content. Il avait récolté un paquet de pignons de pin. De quoi rendre la cuisine un peu meilleure et rendre Popa content quand il se réveillerait d'une dure nuit passée à se geler les miches dans la neige. C'est le genre de nuit qui avait tendance à rendre Popa fatigué, fatigué et grognon, et dans ces cas la il valait mieux ne rien faire pour accentuer sa mauvaise humeur et sa fatigue, et tout faire pour lui faciliter le plus possible la vie dans la cabane.

Ce qui, quand il dormait après une nuit de chasse dehors, consistait surtout à rester loin de son lit, et à ne pas faire de bruit pour ne pas le réveiller avant que le soleil soit bien haut dans le ciel. Ce qui convenait tout à fait à Corbeau, bien heureux de pouvoir profiter d'une mâtiné libre pour remettre un peu en état sa cabane. Et il y avait du boulot. Si le plancher avait bien survécu à l'hiver, le toit lui avait succombé au poids de la neige et n'était plus qu'un trou béant qu'il allait falloir reconstruire. Et si le plancher était toujours la, les deux branches sur lequel il était fixé avait beaucoup bougé, et toute la structure prenait dangereusement du jeu, et menaçait de dégringoler au pied de l'arbre à la moindre bourrasque.

Heureusement Corbeau n'était pas venu les mains libres. Tranquillement installé à califourchon sur une branche à une dizaine de mètres du sol, il sorti un couteau, quelques longueurs de ficelle, et se mit en demeure de rafistoler toutes les attaches. Pour le toit, on verrait plus tard.

Le premier choc suffit à interrompre Corbeau. Il avait depuis longtemps appris que quand on avait son gabarit dans les montagnes sombres, humain ou pas, on n'était souvent qu'un déjeuner comme un autre pour un paquet de bestioles prédatrices locales. Et quand on est en bas de la chaine alimentaire, on apprend à être attentif à son environnement, et à être encore plus vigilant à tout ce qu'on arrive pas à identifier. Comme disait Popa, mieux vaut se fier à un truc connu et dangereux qu'a un truc inconnu. Un truc connu, y'a toujours une chance que ça ne veuille pas te manger...

Cessant son nœud, Corbeau redresse la tête pour observer les environs sans rien repérer de suspect, tout en se demandant ce qui a bien pu causer ce bruit sourd. On aurait dit... Le bruit que ferait un pic noir tapant dans un arbre mais...

BOUM !

Sur le plancher de guingois, la boule de ficelle est ébranlée par le choc qui fait trembler les branches et bascule par dessus bord pendant que Corbeau comprend soudain pourquoi il n'a rien repéré. Le bruit vient de dessous ! Quelqu'un est en train de s'attaquer à l'arbre !

Le môme baisse les yeux vers le sol juste à temps pour voir la jeune géante prendre deux pas d'élan, et foncer comme un énorme bélier droit vers le tronc.

-Hé mais non ! Attend !

BOUM !

L'arbre tremble sur sa base sous le coup de boule monumental de la géante, en quelques instants la vibration du tronc gagne les hauteurs, secoue les branches, les feuilles, et une seconde plus tard, la géante récolte le prix de sa charge et de son dur labeur. D'abord une pluie dense de pommes de pins, puis une planche grossièrement taillé qui lui atterrit en plein sur le crane, immédiatement suivie par une demi douzaine d'autres, et vingt kilos de mioche humain et hurlant.

Contrairement aux félins les enfants humains ne retombent que rarement sur leurs pattes, mais ils sont tout aussi élastiques. Et après avoir rebondi sur toutes les branches entre lui et le sol avant de s'écraser mollement sur le sol, Corbeau a subi plus de peur que de mal. Et quand il se relève d'un bond, couverts d'écorchures et de bleus, au milieu des restes brisés de sa cabane, la seule chose qui lui reste en tête une fois écarté la surprise, la peur et la déception, c'est la bouffée de colère soudaine qu'il ressent face au monstre qui vient de piétiner son petit coin de paradis.

-MÉCHANTE ! SALE MÉCHANTE !

Et attrapant une grosse pierre à ses pieds, il lui décoche en plein milieu du front (Qu'elle a très large)

La géante s'enfuit et Corbeau reste maitre du champ de bataille chèrement conquis. Le gamin reste debout caillou en main, prêt pour une seconde salve jusqu’à ce que la géante ait disparue dans la rocaille un peu plus bas, et qu'il s'estime enfin tiré d'affaire, en tout cas pour le moment. Et qu'une bonne réplique lui vienne enfin aux lèvres.

-Et d'abord moi non plus je t'aimes pas ! T'es trop .... T'ES TROP GRANDE !

Tremblant encore autant de peur que d'indignation, le môme finit par lâcher sa pierre au moment ou la décharge d'adrénaline s'estompe pour laisser les douleurs de la chute se rappeler à lui. Corbeau est couverts d'écorchures partout ou il a touché le feuillage dans sa chute, il a une cheville salement douloureuse, et un bleu naissant qui s'annonce prêt à couvrir tout le flanc gauche, la ou il a heurté une branche maitresse juste avant de finir par atteindre le sol.

Corbeau renifle un peu mais ne pleure pas, enfin, pas beaucoup, s'essuyant la morve qui lui coule du nez avant de se masser un peu les différents points douloureux de son corps et de se tourner vers le pied de l'arbre pour faire le bilan de la situation.

Bon, la cabane est en miettes, mais il a affronté une géante et l'a mise en fuite ! C'est quand même pas rien.

Pour Corbeau l'affaire était close. Il avait craint au début que la menace de la géante soit vrai, et guetté pendant prés d'une heure l'arrivée d'une hordes de géants revanchards et haineux, puis, ne voyant rien venir, il s'était rapidement sorti cette pensée de la tête, et avait entrepris de repartir de zéro pour refaire sa cabane. Ça allait peut être le mettre en retard et louper le réveil de Popa, mais comme celui ci lui avait dit une fois qu'on n'était vraiment un homme que quand on pouvait voir son ouvrage détruit et se mettre à le rebâtir sans pleurer, il allait lui montrer qu'il était déjà devenu grand!

Autant dire que quand La géante reparut soudain sur la ligne de crête, en trainant derriére elle une hache aussi grande que le môme, il fut parfaitement surpris. Surpris et en colère, non seulement il avait déjà gagné en la faisant fuir, mais en plus elle revenait avec une hache ! Une vraie arme ! C'était vraiment pas du jeu, mais il n'allait pas de laisser faire !

Ramassant rapidement quelques cailloux adaptés à sa fronde qu'il glissa dans sa chemise, Corbeau entrepris de remonter dans les branchages, seul endroit ou il pourrait canarder la géante sans se faire fendre en deux.

Miracle ! Le plan fonctionne !

Surement gênée par le poids de sa hache, ou pas vraiment habile sur le terrain de l'escalade arboricole, la géante ne poursuit pas le môme dans les arbres, et tente plutôt l'intimidation pour le faire descendre. Une tactique qui, au vu de l'évident déséquilibre, temps en terme d'armement que de gabarit, n'a strictement aucune chance de réussir.

Comme disait Popa, parfois, quand tu es dans un arbre et qu'un sanglier est en dessous, l'art du chasseur c'est surtout de se montrer plus patient que le sanglier...

Cela dit, si Corbeau n'est pas décidé à abandonner son arbre, il est en tout autrement des pommes de pins qui y sont encore accrochées.

-Tu veux les pommes ? Et ben prends déjà celle la !

Et saisissant une pomme de pin encore fermée, il l'arrache de sa branche, la glisse dans la poche de sa fronde, et après deux moulinets vigoureux, l'expédie droit sur le visage levée et hurlant de la géante.

Dans les branches au dessus de la géante, le môme commence sérieusement à baliser, sous ses pieds la géante semble complétement ignorante de la grêle de projectiles qu'il lui balance dessus depuis qu'elle s'est mise à équarrir le tronc du pin à grands coups de cognée. Ceux qui ne ricochent pas contre son casque improvisé ne parviennent même pas à lui arracher une grimace de douleur ou à ralentir sa furie bucheronne. Et l'arbre à beau être un pin coriace, comparé à la fureur d'une géante et de son arme, il commence déjà à montrer des signes de faiblesse. Et pendant qu'au sol les copeaux jaillissent de toutes part, qu'a chaque coup le fer de hache mord un peu plus loin dans le tronc, quelques mètres au dessus du déchainement de violence, Corbeau cherche désespérément un moyen de se tirer du guêpier dans lequel il s'est fourré.

Trouver un truc plus lourd a jeter sur la géante ? Une branche marcherait probablement, mais le môme n'a qu'un couteau et pas les muscles adaptés à ce travail.. Imiter le cri d'attaque d'un ours pour en attirer un qui viendrait attaquer le monstre ? Hasardeux...

Et soudain, alors que son regard parcourt les branches à la recherche d'une idée, la ! Sur les branches du haut, un nid de guêpes ! Tout en essaim en train de se réveiller doucement à cause du vacarme et des vibrations, et qui ne demande qu'a être décroché pour servir d'arme !

Pour peu, évidemment, que Corbeau puisse l'atteindre avant que la géante ne se mette à crier Timber.

Et pendant qu'en bas on frappe toujours, Corbeau, aiguillonné par la peur, entreprend de gravir le tronc vers le sommet.

Plus haut sur l'arbre, Corbeau loupe complétement le départ de la géante. Et pour cause, il est a cet instant occupé à traiter avec un nouvel ennemi, les guêpes éclaireuses de l'essaim, qui viennent de prendre conscience qu'un intrus progresse vers leur nid et qui ont entrepris de lui expliquer à quel point c'est une mauvaise idée. Autant dire qu'entre la douleur cuisante causée par les premiers piqures, et le bourdonnement agressif qui l'entoure et dont il peine à se protéger à grands coups de claques, le mome à autre chose à faire que baisser les yeux au sol, et ne se rend méme pas compte que les coups de boutoirs ont cessés.

Et ce n'est que de longues minutes plus tard qu'il se rend compte qu'il est a nouveau seul. Après avoir atteint la cime en endurant les attaques, après avoir décoché à coup de fronde une grosse pierre qui éventre le nid, et envoie toute le colonie de guêpe chuter sur le sol et se mettre immédiatement à attaquer tout ce qui bouge au pied de l'arbre.

Après avoir, en somme, rendu tout a fait impossible de se sauver de son perchoir avant le retour de la géante...

Au sol, l'essaim de guêpes qui bourdonne furieusement au pied du tronc entamé, et sillonne l'air à la recherche d'un pauvre mammifère à faire payer pour la chute de leur nid empêche complétement la fuite du pauvre Corbeau qui cherche vainement un moyen de s"échapper de son perchoir.

Et après avoir vainement tenté de se glisser au sol sans faire de bruit, et avoir récolté une demi douzaine de piqures qui l'ont couvert de grosses bosses rouges et brulantes, le môme est si désespéré qu'il en est presque content de voir revenir la géante. Après tout, si elle tente de revenir bucheronner, au moins il ne sera pas le seul à se faire piquer !

Sauf que la méchante fille a aussi changé de tactique, et se gardant bien de s'approcher de l'arbre, voila qu'elle fouille dans son sac pour en extraire des projectiles, et entamer depuis une position a l'abri des guêpes, le début d'un bombardement en règle.

Un bombardement qui remplit d'horreur le pauvre garçon quand le premier projectile explose en touchant une branche, et le recouvre de projections brunes et atrocement puantes et collantes. La géante a décidé de lui lancer de la merde !

C'en est trop !

-Arrête ça tout de suite ! On joue pas avec le caca !

Les tirs se font plus précis, la puanteur plus prégnante, et le dégout monte aux lèvres du môme qui peine a se retenir de vomir ses tripes du haut du pin. Il faut faire cesser cette attaque ! Et tant pis si c'est une reddition sans conditions.

-D'accord d'accord ! Je te les donne ! Mais arrête de tirer !

Tournant pour maintenir le tronc entre lui et la géante, Corbeau attend une seconde que l'ennemi arrête son harcèlement tout en réfléchissant à toute vitesse. Peut être qu'il y a moyen d'obtenir quelque chose de cette fille. Après tous, les ennemis des ennemis sont leurs ennemis ? Ou...

-Je veux bien te donner les pommes, mais il faut chasser les guêpes du pied de l'arbre, sinon on ne peut pas approcher pour se servir !

Aie, match nul.

L'attaque est certes arrêté mais Corbeau pue la merde de mouton, et est toujours coincé dans un arbre sans espoir d'en descendre, pendant qu'en bas la géante est certes, plus libre de ses mouvements que le môme, mais tout aussi incapable d’obtenir les fruits qu'elle convoite.

C'est donc le moment de profiter de l'accalmie pour utiliser l'arme qui de tous temps à permis aux humains de dominer les espèces intellectuellement plus faibles, comme les animaux de fermes ou les géants, la capacité de réflexion !

Et pendant qu'en bas on attend, en haut on se creuse la tête pour chercher une façon de pousser la géante à se débarrasser de l'essaim d'insecte aux intentions meurtrières.

-Pour les faire partir il faudrait faire de la fumée ! Avec de la bouse sèche ou du bois vert par exemple, ça les assommerait et tu pourrais approcher de l'arbre sans te faire piquer.

Le temps passe, et la haut dans l'arbre l'attente se fait longue. Quand on perché sur une branche, même avec un peu de soleil on se pèle vite, et quand en plus on sent comme un sol d'étable, chaque minute semble s'étirer sans jamais en finir et durer des heures. Lassé d'attendre, le môme tente même de descendre en douce, estimant les guêpes suffisamment calmées pour le laisser passer.

Une erreur d'évaluation qui ne dure pas, et qui le voit remonter aussi vite qu'il est descendu avec une paire de piqures supplémentaires sur la fesse, qui, en plus de lui bruler sévèrement le fondement, l'obligent à se tortiller sur les branches à la recherche de la position la moins douloureuse pour ses parties sensibles meurtries.

La situation devient si désagréable qu'il est tout a fait enthousiaste quand la silhouette massive de la jeune géante se repointe enfin dans son champ de vision.

Enfin ! Pouvoir descendre !