Après toutes ses aventures techniques, la scène était enfin prête. Après les trois coups de rigueur pour attirer l'attention du public, Azriel se présenta devant la foule amassée. Pour l'occasion, il avait revêtu un costume vert émeraude aux de motifs de feuilles pour faire honneur à la forêt de son hôte. Son masque arborait un large motif blanc et rouge réhaussé de dorures. Pour l'occasion, les Mis arboraient des tenues aux teintes similaires. L'ensemble donnait d'emblée un air festif à la troupe.

- Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bienvenue à tous dans le somptueux château de Maenor. Je suis sûr que vous avez hâte que le spectacle commence. Mais avant cela, je vous invite à saluer Urua, celui grâce à qui nous sommes tous réunis aujourd'hui.

Une salve d'applaudissements envahit la pièce, accompagnés d'une dizaine de grelots qui tintèrent à l'unisson. Le vampire lui-même leva le verre qu'il tenait dans la main en direction du Löwen, un sourire aux lèvres. Puis, après avoir bu une gorgée, il fit disparaître son verre d'un claquement de doigts, avant de procéder à la mise en place de son numéro.

Il commença un numéro de prestidigitation et d'invocations, utilisant une myriade de Mis pour illustrer un tableau sur les légendes hivernales qui parcourent Dùralas. Tout d'abord, Azriel enfila une fausse barbe et s'appuya sur un bâton dans une parodie libre - et nettement plus colorée - du Père Tungstène aux prises avec son ennemi juré Krampus, incarné par pas moins de cinq Mis juchés sur les épaules de l'un des leurs, et recouverts d'un drap noir. Le visage de la petite invocation au sommet de la tour avait été repeint de rouge et serti de fausses cornes pour faire bonne mesure.

Les deux adversaires d'un soir combattaient avec panache, usant d'une pluie d'invocations pour l'un et de jeux de mots plus ou moins drôles pour l'autre. Derrière eux, dans une scène de forêts artificielle, Eléonore, dans une robe immaculée, incarnait une Fille du Houx et faisait office de choeur dans cette bataille dantesque entre le bien et le mal, les bonbons et le charbon.

Finalement, le faux Krampus fut vaincu, et les Mis s'effondrèrent en grimaçant et en couinant d'une fausse douleur, sous les applaudissements du public. Ce n'était pas l'histoire la plus complexe, mais aux vues des derniers évènements, Azriel avait estimé que son public méritait une pause de légèreté.

Comme tout un chacun, Yavik fut spectateur de la représentation pittoresque qui se tint sur scène. Attentif il n'en manqua pas un instant et bien qu'il ne fut pas très au fait des tenants et des aboutissants de cette lutte célèbre qui était ici parodiée, il en comprit la pantalonnade et apprécia d'un sourire franc les élucubrations et les gesticulations  tantôt grotesques et parfois  magistrales qui furent exécutées. Curieux de savoir qui pouvaient être ces protagonistes que l'on représentait sur scène, il posa la question à l'un de ses voisin qui lui expliqua en quelques mots de qui et de quoi il s'agissait.

Acquiesçant aux propos qui lui avaient été transmis, il entrevit la porté distrayante et légère d'une telle représentation. Les antagonismes les plus terribles, ceux qui étaient emprunt d'une gravité inquiétante, revêtaient le grimage grand-guignolesque lorsqu'ils étaient interprétés sur le ton de la bouffonnerie bon-enfant. Les rires étaient au rendez-vous et tous étaient amusés. c'était bien là le plus important.

C'était la première fois que Yavik assistait à un tel spectacle et il ne regrettait pas d'en avoir été spectateur. Il fallait bien saluer l'art de la mise en scène et la maîtrise expressive des acteurs. Ainsi applaudit-il lorsqu'à la chute de la menace annonça le dénouement sonnant la fin de la représentation.

Rowtag avait suivit la troupe en Sylfaën, pour une représentation qui se tenait dans l'élégante et démesurée salle de réception du château de Maenor. Il n'était guère aisé de performer dans un endroit aussi prestigieux, avec des invités, pour certains, tout aussi tape-à-l'oeil. L'exigence paraissait haute mais enfaite les attentes du client ne semblaient pas correspondre à ce à quoi le djöllfulin s'était attendu. En effet, l'accent était mis sur la légèreté et l'amusement, cette fête se révélait donc être belle et bien une fête, avec tout ce qu'elle comportait de joie et d'alcool, plus qu'un rassemblement de snobes. Parfait, Rowtag détestait les bourgeois qui ne savaient rien prendre à la légère.

Il était debout, non loin de la scène, applaudissant encore le numéro de son chef de troupe qui avait du bien plaire aux convives. Et s'ils ne l'avaient pas trouvé convaincant, au moins l'avaient-ils peut-être trouvé grotesque, et ainsi en avaient-ils trouvé matière à se divertir. Azriel avait choisi de jouer sur la corde du drolatique, et Rowtag n'allait certainement pas se désaccorder avec cette ligne.

Prenant place sur la scène, muni de son haut-de-forme, de son costume de spectacle et de ses gants de prestidigitation, l'illusionniste salua d'abords son public.

-Mesdames, messieurs, un plaisir, sire Urua, fit-il à l'attention du maître de cérémonie, puis, de tous, en écartant les bras. Sylfaën ! Quelle belle région, quels beaux peuples, quelles belles forêts, quels beaux...choux ! Il sortit un légume feuillu de son chapeau pour le présenter à l'assemblée. Applaudissez notre nouvel invité ! Rowtag laissa un petit temps pour que les convives coopèrent et applaudissent ce chou même si cela était contre leur volonté. L'art du spectacle était toujours aussi jouissif en ce qu'il permettait de faire faire presque n'importe quoi aux spectateurs.

-Mais...savez-vous ce que l'on dit sur les choux ? Que dedans naissent les bébés ! Soudainement, une forme se profila entre les feuilles, une main émergea bientôt rejointe par une deuxième puis par une tête ronde et innocente. Rowtag, surpris de cette découverte, lâcha le chou au sol afin de porter ce chérubin convenablement. Oh ? oh ! Tiens, mais qui tu es, toi ! Il commença à le bercer, d'un air attendri.

-Hé hé, ce sont deux petites oreilles pointues que je vois là, tu es un jeune elfe ! Je fais le voeu que tu suives toujours le droit chemin ! Car savez-vous ce que l'on dit sur les menteurs ? Que leurs nez s'allongent ! En prononçant ces mots, l'illusionniste vit son nez pousser d'une vingtaine de centimètres en avant, à l'instar des légendes entourant le célèbre et terrible Pinochiot, un thérianthrope canin qui ne faisait que mentir. Oh, noon ! Pendant ce temps, un second bébé sorti du chou laissé au sol, puis un autre, et encore un autre, qui envahirent alors les pattes du cornu de leurs mains et de leurs jambes potelées, agrémenté de ses réactions truculentes et exagérées. Leur attention se tourna ensuite vers le chou qu'ils dévorèrent en un rien de temps !

-Ben ça alors, ce ne sont pas des elfes pour rien ! L'un des enfants rôta, repu d'avoir englouti un quart du légume aussi goulûment. Toi, tu as eu les yeux plus gros que le ventre ! Aussitôt, le nez de Rowtag s'allongea jusqu'à atteindre une cinquantaine de centimètres, alors le cornu réalisa quelque chose. Oh non ! Mon petit doigts me dit...

-...que ça va encore mal finir !! cria l'auriculaire de l'homme qui s'était paré d'une bouche pour l'occasion. Et en effet, les yeux de Rowtag s'agrandirent jusqu'à faire la taille de deux pastèques, précisément un peu plus que le diamètre de son estomac. Le regard tourné vers le public, il feignit un désespoir surjoué. Oh non ! Me voilà les oreilles basses ! Il fit les gros yeux, sa main sur sa bouche, comme s'il venait de comprendre que ses paroles venaient d'en rajouter des couches. Et ses oreilles pendirent jusqu'à ses pieds, tandis que les bébés en profitaient pour tirer dessus et jouer avec et que son nez ne cessait de s'allonger d'une longueur supplémentaire à chaque phrase qu'il prononçait.

-Ça suffit !! Je passe la main ! abandonna-t-il en balançant son bras, ce qui fit décrocher sa fausse main qui virevolta dans les airs dans une giclée de sang fictive (de sang à paillettes roses, pour les jeunes âmes) en direction du public.

Un nuage de poussière fit disparaître tout le bazar sur la piste, l'artiste compris. Lorsqu'il fut dissipé, les spectateurs pouvaient constater la présence d'un grand clou enfoncé sur le bois de la scène, preuve que le spectacle était bel et bien fini.